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éloignés de l’hémisphère boréal, sans qu’aucune connexion apparente, dans le sens des parallèles, explique une pareille communauté.

L’Europe témoigne par des fossiles irrécusables avoir possédé autrefois une foule de types et de formes végétales demeurés américains, qu’elle ne peut avoir reçus que de l’extrême Nord. Elle a eu certainement, par exemple, des magnolias, des tulipiers, des sassafras, des érables et des peupliers, assimilables de tous points à ceux que renferme l’Union américaine. Les deux platanes, celui d’Occident et celui de l’Asie-Mineure, auxquels il faut ajouter un platane fossile jadis européen, réalisent le même phénomène de dispersion. Notre continent, lors du tertiaire, a vu croître un ginkgo pareil à celui du nord de la Chine ; il a eu des séquoias et un cyprès chauve correspondant aux végétaux de ce nom, indigènes de la Californie et de la Louisiane. Le hêtre paraît avoir habité la zone circumpolaire arctique avant de s’introduire et de s’étendre dans l’hémisphère boréal tout entier. Il en est de même sans doute du sapin à feuilles d’if, dont M. Heer a signalé des vestiges reconnaissables provenant de la terre de Grinnel, au-delà du 82e degré de latitude, à une époque bien antérieure à celle où eut lieu l’introduction en Europe de cette espèce.

C’est à des émigrations venues, sinon du pôle, du moins des contrées attenantes au cercle polaire, qu’il faut attribuer la présence constatée dans les deux mondes de beaucoup d’animaux propres à l’hémisphère boréal. Cela saute aux yeux lorsqu’on parle du renne, du bison, du cerf ; mais cela doit être également vrai pour les animaux de temps plus anciens, et, bien qu’il n’y ait à cet égard d’autres preuves directes que l’abondance des restes de mammouths dans la haute Sibérie, la même loi concerne sans doute les éléphans et les mastodontes. Nous voulons parler ici des espèces de ces deux genres qui se propagèrent du nord au sud et furent, en Amérique comme en Europe, les compagnons de l’homme primitif. La connexion des masses continentales, étalant par-delà le cercle polaire une ceinture de terres à peine discontinues, donne la clé de tous ces phénomènes. La cause dont ils dépendent entraîne toujours des irradiations et, par suite, des disjonctions d’espèces et de races, quel que soit le règne que l’on considère.

Non-seulement le géologue que nous avons cité insiste en termes formels sur la régularité de « l’accroissement, par des adjonctions successives de couches sédimentaires, des noyaux primitifs » et, par une conséquence de ce processus, « sur la très ancienne date du plan sur lequel les masses continentales ont été constituées et dont les grandes lignes ont dû se dessiner dès l’origine[1] ; » mais il a

  1. Traité de géologie, par A. de Lapparent, p. 1245 à 1248. Paris, 1883, F. Savy.