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Il y a eu toujours une Europe, une Asie, une Amérique et aussi des terres polaires arctiques. Seulement, à travers bien des modifications que le temps a réalisées, on observe cette loi que c’est à l’aide d’agrégations, par des ceintures de plages soulevées, disposées autour des masses cristallines et des terrains primitifs émergés les premiers que les continens se sont formés. Pour ce qui est des alentours mêmes du pôle arctique, nous savons, à n’en pas douter, qu’il y a toujours eu dans cette direction, sinon des continens, du moins de grandes terres, longtemps peuplées des mêmes végétaux que le reste du globe, et qu’à partir d’une époque qui coïncide avec la fin du jurassique, le climat, d’abord aussi chaud là qu’ailleurs, a tendu à s’abaisser graduellement. L’abaissement s’est manifesté originairement dans une proportion des plus lentes ; lors du tertiaire, il était encore loin d’avoir atteint les limites actuelles, puisque plusieurs des arbres qui peuplaient le Groenland à ce moment : — séquoias, magnolias, platanes, etc., — n’acquièrent tout leur développement aujourd’hui que dans le midi de l’Europe et s’accommodent moins bien du climat de l’Europe centrale.

Nous sommes donc assurés de l’ancienne existence d’une bordure ou zone circulaire de terres voisines du pôle arctique et couvertes d’une riche végétation. La permanence d’une mer polaire n’est pas moins attestée par les fossiles recueillis de toutes parts. On sait à quel point les explorateurs de toutes les nations, et, récemment, l’intrépide Nordenskiöld, ont fouillé sous la glace de l’extrême Nord pour en retirer des documens de toute nature, surtout des empreintes végétales qui ont permis à M. Heer de reconstituer la flore arctique des divers âges aussi sûrement que s’il s’était agi d’un véritable herbier. Les alentours du pôle ont été longtemps habitables, et habitables par l’homme, dans un temps rapproché de celui où les vestiges de son industrie commencent à se montrer en Europe comme en Amérique. En passant ainsi des régions arctiques dans celles qui touchent au cercle polaire et, par l’intermédiaire de celles-ci en Asie, en Europe et en Amérique, l’homme n’aura fait que prendre la route qu’une foule de plantes et d’animaux avaient suivie, soit avant lui, soit en même temps, et sous l’empire des mêmes circonstances.

Effectivement, c’est à l’aide de migrations venues des environs du pôle que l’on explique généralement le phénomène des espèces disjointes, phénomène identique à celui que présente l’homme de l’ancien et celui du Nouveau-Monde comparés entre eux. En combinant les notions actuelles avec les indices fournis par les fossiles, — que l’on considère les plantes ou que l’on s’attache aux animaux, — on constate de nombreux exemples de cette disjonction qui fait voir des formes congénères, souvent même à peine distinctes, distribuées à la fois dans des régions discontinues et sur des points très