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France. C’est toujours le dernier mot ! La France ne peut certes ignorer ce qu’on lui dit si clairement et si souvent. C’est pour elle un devoir de redoubler de vigilance sans s’émouvoir outre mesure de ces campagnes diplomatiques. On n’a sûrement pas pour le moment l’intention de lui déclarer la guerre, elle a encore moins la pensée de la déclarer aux autres, et, avant que des événemens sérieux, décisifs éclatent en Europe, la nouvelle triple alliance aura fait son temps comme la première. Ces combinaisons à grandes prétentions ont toujours plus d’apparence que de réalité, plus de retentissement que de durée, et l’Italie, en se jetant dans cette aventure, risque fort d’avoir fait beaucoup de bruit pour rien.

Ce qui est clair dans tous les cas, c’est qu’elle a trouvé là une assez triste occasion de témoigner avec aussi peu de tact que de profit des sentimens équivoques à l’égard de la France. L’Italie est libre de choisir ses alliés, de porter ses préférences à Vienne ou à Berlin ; elle s’est exposée aujourd’hui à n’être plus prise au sérieux lorsqu’elle ne cesse de protester de ses dispositions cordiales pour une nation voisine avec laquelle elle a certainement intérêt à vivre en bonne intelligence et qu’elle traite cependant avec une si étrange liberté. Son erreur est de se croire trop habile, de se laisser aller trop aisément à son goût pour les rôles chimériques ou à des ressentimens assez puérils, de chercher les périls là où ils ne sont pas et de ne pas voir ceux qui peuvent la menacer réellement. Au lieu de procéder comme elle l’a fait assez souvent à l’égard de la France, qui ne lui a jamais ménagé les marques d’amitié, au lieu de se jeter tête baissée dans des alliances qui peuvent compromettre toute sa politique sans lui assurer des avantages bien évidens, elle ferait peut-être beaucoup mieux de songer à ses propres affaires, à ses conditions intérieures, au développement de ses intérêts, à tout ce qui peut fortifier son indépendance plus sûrement que toutes les combinaisons d’une diplomatie surexcitée. Elle s’est occupée depuis quelques années de régulariser son état financier, et ces jours derniers encore, le ministre des finances, M. Magliani, exposait devant le parlement une situation qui, après tout, est en sérieux progrès, qui n’a rien que de rassurant si elle ne vient pas à être troublée par les aventures de la politique. C’est un premier point, un des plus importans, si l’on veut, ce n’est pas le seul. L’Italie, après cela, aurait encore à s’occuper de bien d’autres intérêts pratiques, de bien d’autres travaux pressans dans des provinces où tout est à faire. Elle gagnerait beaucoup plus à poursuivre ces œuvres utiles qu’à briguer les avantages équivoques d’alliances onéreuses, à s’épuiser en arméniens. Elle aurait plus d’amis sérieux si elle restait ce qu’elle doit être, et, après tout, elle n’a d’autres ennemis à craindre que ceux qu’elle se créera.


CH. DE MAZADE.