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d’éloquences ; ces discours, après tout, déguisent à peine les contradictions dans lesquelles se débat un énergique esprit qui veut faire du gouvernement, comme on dit, sans en accepter les conditions, qui parle sans cesse de modération et de libéralisme en poursuivant avec une sorte d’emportement, au nom de la république, l’application d’un véritable système de violence morale et politique.

M, le président du conseil se flatte de garder une certaine impartialité dans les affaires religieuses et il déclarait récemment encore qu’il ne ferait pas la guerre, qu’il se bornerait à repousser les attaques dont la république pourrait avoir à souffrir ; mais en même temps, il livre au jugement du conseil d’état des évêques qui n’ont commis d’autre crime que de parler dans des mandemens ou dans des lettres pastorales de ce qui a été publié par cent journaux, et il ne s’en tient pas même là : il va fouiller comme toujours dans l’arsenal des vieilles armes de répression, il emprunte à tous les régimes ; il interroge le conseil d’état pour savoir si l’on ne pourrait pas par hasard traduire les évêques devant la police correctionnelle. M. le président du conseil a certainement sa manière à lui de comprendre la paix religieuse ! M. Jules Ferry a renouvelé plus d’une fois la déclaration qu’en rendant l’instruction primaire obligatoire, il entendait maintenir la neutralité religieuse dans les écoles ; mais il ne s’aperçoit pas qu’avec l’esprit qui règne dans cette campagne de l’enseignement nouveau, cette neutralité n’est qu’un mot, que ces manuels dont on parle sans cesse, que M. le ministre de l’instruction publique lui-même n’ose pas condamner, sont dans leur forme familière le plus redoutable instrument de guerre et de division. Il faut voir la vérité telle qu’elle est, Au fond, cet enseignement nouveau tel qu’on l’entend est une tentative violente de l’esprit de secte pour déraciner les cultes, les croyances du cœur des générations nouvelles, pour créer une nation selon l’idéal du jour, et ce que M. le ministre de l’instruction publique n’avoue pas, ce qu’il voudrait peut-être atténuer, d’autres l’avouent tout haut sans déguiser le rêve, le secret de la secte. M. Spuller, qui traite sans façon M. Jules Ferry de grand ministre, disait, il n’y a que quelques jours, dans une réunion de la ligue de l’enseignement à Reims : « On ne peut fonder la république qu’en renouvelant l’état mental de la France ; ce n’est pas avec des cerveaux monarchiques, qu’où fondera la république, c’est avec des cerveaux républicains. » Il faut « former des cerveaux républicains ! » Et, en parlant ainsi, avec le fanatisme d’un esprit étroit, M. Spuller ne s’est pas douté qu’il proférait une des plus étonnantes extravagances d’absolutisme, que ce qu’il proposait dans un langage assez baroque à la république, c’était de s’approprier la théorie de la révocation de redit de Nantes, — qui, elle du moins, en imposant l’unité de religion, n’entreprenait pas la réformation des cerveaux. Voilà où l’on en vient, et ce qui se cache