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du Nouveau-Palais, qui tenait tant à cœur à Frédéric et dont Hoppenhaupt et M. Kambly dirigèrent l’exécution, cette immense pièce, aux parois décorées de coquillage, de conques, de plantes et d’animaux marins et dont quelques panneaux sont même incrustés de pierres précieuses, est un spécimen accompli de ce rococo allemand et des inventions baroques auxquelles il se complaisait, croyant ainsi faire preuve d’imagination et de fécondité.

Sans être d’un goût aussi pitoyable, les autres salles n’offrent que peu d’intérêt. À part quelques meubles identiques à ceux de Potsdam et de Sans-Souci, le reste du mobilier montre une fabrication déjà plus lourde et des formes moins heureuses. Çà et là on retrouve aussi quelques échantillons de belles étoffes de la manufacture de Vigné, des porcelaines de Berlin disposées en lustres, en encadremens de trumeaux ou de glace, et sur les cheminées Quelques jolis vases en cristal de roche ou en porphyre, dont les montures élégantes ont été dessinées par Boucher. Des vernis de Martin ou de Chevalier décorent plusieurs pièces, et dans les compartimens de l’une d’elles quatorze scènes tirées du Roman comique, et peintes par Pater, ont trouvé place. Quelques-uns des plafonds sont d’Amédée Van Loo ou d’un artiste allemand, Bernard Rode, peintre et graveur assez médiocre. Quant aux tableaux qui ornent les appartemens, on y remarque, comme toujours, bon nombre de Watteau, de Pater et surtout de Lancret ; mais c’étaient là des acquisitions faites antérieurement par Frédéric. Ses goûts à cet égard s’étaient depuis quelque temps un peu modifiés. Peut-être trouvait-il qu’on avait exploité trop largement sa préférence pour ces maîtres qu’autrefois il voulait accaparer. Déjà en 1754, il répondait à Darget qui lui proposait l’achat de plusieurs œuvres de Lancret : « Je ne suis plus dans ce goût là ; ou plutôt j’en ai assez dans ce genre. J’achète à présent volontiers des Rubens, des Van Dyck, etc. » Mais ni les Rubens, ni les Van Dyck ne courent les rues, et les tableaux qui lui furent vendus comme tels ne font pas toujours honneur au choix de ses agens. En 1755, Frédéric se rendait acquéreur de cette Léda du Corrège dont nous avons raconté les mutilations[1] et d’une copie de l’Io du même peintre, qu’il paya comme un original[2]. Avant la guerre de sept ans, en 1756, il faisait encore en France quelques commandes aux peintres les plus en vue : un Sacrifice d’Iphigénie à Carle Van Loo, un Jugement de Pâris à Pierre, et à Restout un Triomphe de Bacchus, qui avait obtenu un grand sucés à Paris. Outre ces toiles, dont les dimensions sont considérables, on voit aussi au Nouveau-Palais divers ouvrages de Cazes et de De Troy,

  1. Voyez dans la Revue du 1er mai 1882, les Musées de peinture de Berlin.
  2. L’original est au musée de Vienne.