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aux traditions déjà bien anciennes et depuis longtemps non interrompues de notre art national. Ce style même de la renaissance, en s’acclimatant en France, s’y était vite transformé, et les châteaux de la Loire, la cour du Louvre, pour ne citer que ces seuls exemples, sont des monumens bien français dont on ne trouverait pas l’équivalent en Italie. Au contraire, le sol dans lequel Frédéric prétendait transplanter et faire reprendre en pleine croissance un art de complexion si délicate et qui dérivait chez nous d’influences si nombreuses et si variées, ce sol de la Prusse n’était aucunement préparé pour le recevoir. Aussi, ne rencontrant ni la culture préalable ni le soutien qui lui aurait permis de prendre racine et de se développer, cet art était promptement destiné à s’épuiser. Pour prolonger sa durée, Frédéric se voyait condamné à renouveler incessamment les emprunts qu’il faisait à l’étranger, à la France surtout, afin de stimuler une production locale qui devait toujours demeurer précaire et factice. C’est ainsi dans le dessein de venir en aide à cette production qu’après la paix d’Hubertsbourg il entreprit à Potsdam la création du Nouveau-Palais (1763-1769), situé à l’extrémité du parc et relié aux châteaux de Sans-Souci et de Potsdam par de grandes avenues.

La direction des travaux fut confiée à un architecte français assez habile nommé F. Legeay, dont la réputation était arrivée jusqu’au roi. A la mort de Knobelsdorf, Legeay avait hérité de sa charge, et il avait déjà fourni les plans de l’église catholique à Berlin, un monument assez lourd, d’une simplicité un peu nue, et sans grand caractère. Il crut l’occasion bonne cette fois pour se donner carrière, et le bâtiment des communs du Nouveau-Palais, exécuté d’après ses dessins, montre assez qu’il s’était mis en frais d’imagination. C’est une construction massive dont les deux ailes, surchargées d’ornemens, sont rattachées par une colonnade à travers laquelle on entrevoit une vaste perspective. L’édifice est flanqué de trophées, de rotondes en cuivre et d’obélisques dans le goût de l’époque. Il rappelle d’ailleurs un des projets les moins heureux de Boffrand, celui que cet artiste avait imaginé pour la décoration de la place Dauphine. Quant au plan du château lui-même, on peut croire que Legeay n’avait rien épargné. Mais le roi avait aussi ses idées à cet égard et il y tenait. En consultant la volumineuse collection de dessins d’architecture qu’il avait réunie, Frédéric empruntait à chacun d’eux ce qui lui convenait, croyant qu’on peut ainsi impunément mêler tous les styles. Legeay, qui avait sa dignité, et qui entendait respecter les règles de son art, défendait son projet. Un jour, le débat devient plus vif, et il faut bien convenir que l’architecte a ses raisons pour ne pas vouloir se soumettre. Il s’agit de l’entrée du Nouveau-Palais à laquelle il prétend donner une