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atteindre ce but, entreprend lui-même une publication de modèles. Tout en cherchant au dehors les artistes dont le concours lui semble désirable, Frédéric n’a garde d’oublier ceux qu’il a déjà sous la main et il leur fait de nombreuses commandes. Il encourage aussi la création d’industries nouvelles et s’intéresse à leur développement. Une fabrique de tapisserie de haute lice, installée à Berlin par Vigne, exécute pour Sans-Souci deux séries de panneaux représentant les uns des fleurs, les autres des épisodes de l’histoire de Psyché dont Amédée Van Loo avait dessiné les compositions. Frédéric est secondé dans ses diverses entreprises par un marchand nommé Gotzkowsky, homme plein d’initiative et d’intelligence, et qui monte lui-même à Berlin une manufacture de velours et d’étoffes de luxe. Le roi s’intéresse aux progrès de cette fabrication ; il en envoie les premiers spécimens à la margrave (décembre 1746). Plus tard, il entre encore dans les intentions de Gotzkowsky et peut-être même les inspire-t-il en favorisant la création d’une manufacture de porcelaine qui, au détriment d’une autre fabrique fondée en 1750, par Nægeli, va bénéficier des faveurs du vainqueur de la Saxe. Frédéric, en effet, bien qu’il raille les dépenses que le roi de Pologne fait pour les arts, sait à l’occasion en profiter sans aucun scrupule. C’est ainsi qu’il ordonne d’enlever en bloc de Meissen la matière première, les pâtes, quelques-uns des chimistes et des décorateurs ou des ouvriers attachés à cette fabrique. Il les fait transporter à la manufacture de Berlin, laquelle est acquise en 1763, puis érigée en manufacture royale[1].

Tous les moyens, on le voit, sont bons à Frédéric et si ses procédés manquent parfois de correction, son but du moins est louable. Ce but, il l’indique lui-même dans cette lettre à sa sœur (16 novembre 1746), où enviant une fois de plus aux Français leur goût et leur culture, il ajoute, non sans quelque amertume : « Nous sortons de la barbarie et nous sommes encore au berceau. » Puis, après avoir énuméré les artistes que déjà il a pu attirer près de lui et ceux qu’il attend encore, il termine par ces mots : « Tout cela sont des étrangers, et s’ils ne forment pas des élèves de notre nation, il en sera comme du temps de François Ier qui fit venir les arts d’Italie en France, mais qui n’y fructifièrent pas. » L’exemple peut paraître excellent à suivre ; mais la comparaison n’est point exacte. La France, au temps de François Ier, n’était pas un pays nouveau pour les arts, et les emprunts que ce roi a faits à l’Italie ne devaient amener chez nous d’autres résultats que de substituer le style de la renaissance

  1. Cette violente translation du personnel et des procédés mêmes de fabrication, de la manufacture de Meissen à celle de Berlin, explique la similitude qui existe au début entre les produits de ces deux fabriques. Le décor aussi bien que la couleur de ces produits présentent, à ce moment, des analogies frappantes.