Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/904

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui jusque-là lui était refusée, ; et un facteur nommé Silbermann vient d’apporter à sa fabrication des modifications notables[1]. Le roi se tient au courant de ces améliorations et s’y intéresse tellement qu’il n’a pas moins de quinze pianos de Silbermann dans ses diverses résidences. Quant aux flûtes, c’est Quantz qui les lui fournit, car en même temps qu’il est musicien, c’est aussi un facteur excellent et on peut croire qu’il met un soin particulier à pourvoir son élève de ses meilleurs instrumens.

Frédéric ne se contente pas d’exécuter, il compose. C’est surtout le matin, à sa toilette, quand on le frise, que les idées lui viennent. De peur de les perdre, il les note aussitôt, car, nous le savons, l’inspiration lui est parfois rebelle, et il se plaint lui-même de « la sécheresse de son imagination. » Il a cependant composé une centaine de morceaux pour la flûte, deux marches, et une cantate faite à l’occasion d’une visite de sa mère. De même que Voltaire « blanchit » la littérature du roi, Agricola, l’organiste de la cour, revoit ses compositions, souvent un peu incohérentes, et en corrige les hérésies harmoniques.

Bien que Frédéric s’intéresse surtout à la flûte, il n’est pourtant pas, à ce moment du moins, indifférent à d’autres distractions. Il veut avoir un opéra, un corps de ballet, un théâtre de comédie, et il veille lui-même à ce qui touche à leur organisation et au recrutement de ces différentes troupes. Pour l’opéra, il a ses idées ; s’il n’aime que la musique allemande, si Graun et Hasse demeurent ses compositeurs favoris, comme chanteurs il ne veut que des Italiens ; il les impose à Graun, qui préférerait s’entourer de ses compatriotes. Il est entendu d’ailleurs qu’on ne doit jamais chanter en allemand et très souvent les paroles des cantates et des opéras ont été mises en vers français par le roi lui-même, celles de l’opéra de Silla notamment, puis traduites du français en italien par un certain Tagliazucchi. Parfois aussi Frédéric intercale dans les pièces qu’on joue des morceaux de sa composition, et en 1755 il écrit à la margrave qu’il s’amuse à arranger, d’après la tragédie de Racine, un opéra des Frères ennemis.

Les chanteurs viennent d’Italie, mais c’est de France que le roi de Prusse tire ses danseuses et ses acteurs. Presque au lendemain de son avènement, quoique la cour soit encore en deuil, il s’occupe d’assurer les représentations pour la saison suivante et il écrit de Rheinsberg à Voltaire (octobre 1740) : « Voudriez-vous, engager le comédien La Noue… et lui enjoindre de lever une troupe en France et de l’amener à Berlin le 1er juin 1741. Il faut que la troupe

  1. C’est pour marquer le résultat de ces perfectionnemens que l’instrument ainsi modifié recevait le nom de piano-forte.