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Baireuth, — ses premières leçons, il avait voyagé en France et en Italie. Fixé à Strasbourg de 1736 à 1741, il avait pu y profiter des meilleurs enseignemens à l’école de Robert de Cotte et de Boffrand, car c’est le moment où ces deux architectes y exécutaient au château épiscopal de cette ville des travaux considérables pour le prince de Rohan. Nahl, appelé en 1741 à Berlin, y résida jusqu’en 1746. Il déploya pendant cet intervalle une remarquable activité, sculptant pour le compte du roi des statues ou des vases dans les palais ou les jardins, dirigeant la décoration du théâtre du château de Potsdam, faisant enfin de la grande salle à manger de ce château une merveille de richesse et d’élégance. Le décor de cette salle, du style Louis XV le plus pur, est formé d’ornemens en cuivre doré appliqués sur des lambris blancs. Autour des quatre portes et des quatre fenêtres, comme autour des glaces, des panneaux et des voussures, cette légère broderie de métal, qui en dessine nettement les contours et les harmonieuses proportions, court flexible et gracieuse, semée çà et là de bouquets, de guirlandes ou de trophées. De nombreux candélabres placés aux glaces, sur la cheminée et au milieu des panneaux se rattachent à la décoration générale, ainsi que d’immenses consoles également en bronze doré et découpé, ornées de rocailles et de corbeilles de fleurs. Enfin la cheminée de marbre rouge est elle-même sobrement encadrée par des rinceaux de cuivre. Tout cet ensemble, dont la composition aussi bien que l’exécution fait le plus grand honneur à l’artiste qui l’a imaginé, est d’un aspect plein de gaîté et d’un luxe tout à fait merveilleux. Si le style en est bien français, nous ne ferons pas de difficulté de reconnaître que nous n’avons trouvé ni chez nous ni ailleurs aucun autre exemple d’un goût si magnifique et si délicat.


III

La musique, on le pense bien, n’était pas oubliée par Frédéric, et il entendait, surtout en cette affaire, suivre son goût propre et ne s’en rapporter qu’à lui-même. Derrière le souverain on sent toujours percer le virtuose. Au dire des contemporains, ce talent du virtuose était réel et si le témoignage que la margrave nous en donne peut paraître suspect quand elle avance, dans ses Mémoires, que « sans flatterie, on peut dire qu’il surpassait les plus grands maîtres, » on ne saurait à ce propos récuser des juges plus impartiaux et plus compétens ; Burney, par exemple, qui dans son Voyage musical, parle avec éloges de « l’embouchure de Frédéric et de son talent à jouer les adagios. » Le concert de chaque soir, nous l’avons dit, est pour le roi plus qu’une distraction ; c’est une nécessité. Où qu’il soit, en voyage, au camp et même à la guerre, il ne peut s’en