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peu après devenir et rester célèbre sous le nom de Sans-Souci. On ne pouvait, en effet, trouver une situation plus heureuse que ce plateau entouré d’arbres de tous côtés et dominant le cours gracieux de la Havel du haut de six terrasses superposées en étages[1]. La maison, basse et s’étalant en plein soleil sur la dernière de ces terrasses, n’est composée que d’un rez-de-chaussée, d’une architecture simple, et dont les deux ailes, du côté du nord, sont reliées entre elles par une colonnade. A l’entrée, le vestibule la divise en deux parties : l’une réservée aux hôtes, l’autre à l’habitation du roi et disposée à son usage, suivant ses propres prescriptions, car il avait collaboré au plan et n’avait pas cessé de surveiller et de presser les travaux. Activement menée par Knobelsdorf, la construction, commencée en avril 1745, était terminée deux ans après, et l’inauguration avait lieu le 1er mai 1747.

Il fallait s’occuper de meubler et d’orner ces diverses résidences. Frédéric y avait fait transporter de Rheinsberg les œuvres d’art auxquelles il tenait le plus et il avait chargé Pesne de peindre successivement les plafonds de Charlottenbourg, puis ceux du grand escalier de Potsdam et de la salle de concert de Sans-Souci. L’artiste s’était évertué de son mieux à les décorer d’allégories et de scènes mythologiques composées dans le goût du temps, mais son pinceau un peu lourd ne pouvait qu’aggraver l’insignifiance et la fadeur de sujets de ce genre. Le brave Pesne, qui n’avait jamais eu grande originalité, s’était un peu rouillé, car pendant le règne précédent on ne songeait guère à utiliser son talent de peintre d’histoire. Sans avoir un mérite d’art bien supérieur à ses compositions, ses portraits, un peu mous aussi, mais étudiés du moins avec sincérité et conscience, nous renseignent fidèlement sur la société de l’époque. Dans la nombreuse collection qu’il en a laissée figurent tous les personnages un peu en vue qui ont vécu près. de Frédéric, ses parens et ses commensaux, des actrices et des danseuses aussi bien que des généraux et des politiques. Pesne devait jouir pendant près de cinquante ans en Prusse d’une faveur pareille à celle qu’avaient trouvée Vivien auprès de l’électeur de Bavière et Sylvestre près du roi de Saxe[2]. On a sur ce point le témoignage du

  1. Ces six terrasses étaient garnies, dès ce temps, de couches, de pieds de vigne et d’espaliers qui, abrités par des vitraux, fournissaient en abondance à Frédéric les légumes et les fruits dont il voulait qu’en plein hiver sa table fût garnie ou qu’il se plaisait à envoyer, dans leur primeur, à la margrave de Baireuth. Voltaire parle dans une de ses lettres des fraises, des pêches et des ananas qu’on mangeait à Sans-Souci au mois de janvier.
  2. On peut voir dans l’excellent ouvrage de M. L. Dussieux, les Artistes français à l’étranger, 3e édition (1876), à quel point la mode était alors répandue d’avoir, dans chaque cour étrangère, un Français pour peintre attitré.