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ses lettres, il revient sur ce sujet. Aussi est-ce d’accord avec lui que, dès le début de son règne, Knobelsdorf se décide à partir pour Paris et, au lieu de s’y répandre dans la haute société, il s’attache de préférence à visiter les ateliers. Il rend compte au roi de tout ce qu’il voit, et avec l’autorité que lui méritaient à la fois son désintéressement et ses relations déjà anciennes avec Frédéric, il exerce sur les choix et sur l’esprit de celui-ci une grande influence. Knobelsdorf, — c’est Frédéric lui-même qui nous l’apprend dans l’Éloge qu’il fit de son ami, — admirait fort Lebrun et Poussin, « il faisait beaucoup de cas des travaux de Carle Van Loo et des instructions (sic) de De Troy. » À côté de ces prédilections, et ceci prouve en faveur de son goût, il aimait aussi « la naïveté et la vérité de Chardin. » Mais nos sculpteurs lui paraissaient encore supérieurs à nos peintres, « cet art étant poussé à la perfection par les Bouchardon, les Adam, les Pigalle. » Quant aux architectes français, sans faire très grand cas de leurs monumens, il reconnaissait surtout leur mérite a pour la distribution, la commodité et les ornemens des appartemens… mais il donnait la préférence aux Italiens pour l’architecture extérieure. »

On ne saurait s’étonner beaucoup de ce jugement que Knobelsdorf portait sur nos architectes, et il ne lui était guère possible, en vérité, d’apprécier leur talent, car ceux-ci ne trouvaient plus alors, à Paris du moins, grande occasion de l’exercer. L’épuisement du trésor public avait mis fin à cette manie de constructions immenses et ruineuses qui, sous Louis XIV, avaient coûté tant d’argent et de vies d’hommes. Mais en dehors de Paris, dans les provinces, à la cour de Stanislas, à l’étranger surtout, nos artistes ont laissé des œuvres qui attestent leur habileté. Leurs nombreux dessins, aussi bien que les excellens ouvrages qu’ils ont publiés sur l’architecture, montrent leur fécondité d’invention et laissent voir sous une apparente facilité une instruction solide, des aptitudes variées et un sens très personnel.

Avec Robert de Cotte, Blondel et Boffrand, le style pompeux et un peu massif de l’époque précédente s’était allégé et assoupli. Tout en respectant les grandes lignes de la structure, l’ornementation plus fine, plus élégante, plus déliée, va s’épanouir gracieusement à leur extrémité. On sent qu’une même pensée a prescrit l’emploi le plus judicieux de chaque matière en lui appliquant le genre de travail qui convient le mieux à sa nature et à sa destination. Ce caractère d’unité et d’harmonie s’étend à tous les élémens décoratifs, — sculptures, tableaux, mobilier et tentures — qui entrent dans l’édifice. Reliés ainsi intimement les uns aux autres, ils se font valoir mutuellement et assurent l’effet de l’ensemble : D’ailleurs, même dépouillés de toute ornementation, les intérieurs,