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Régulièrement, dès quatre heures, chaque jour, dût-il s’irriter et regimber, un valet de chambre est chargé de le réveiller.

Mais les arts ne feront jamais oublier à Frédéric ses devoirs de roi, et ce n’est plus pour son seul agrément que désormais il leur laisse une place dans sa vie. Il désirerait maintenant en répandre le goût, élever leur niveau, orner sa capitale, ses palais, former des collections qui servent d’exemple et créer, s’il le peut, dans son pays des industries qui ajoutent à la fois à sa prospérité et à son honneur. « Il voudrait, comme il l’écrit à sa sœur (29 juillet 1740), recueillir à Berlin tout ce que le siècle a produit de plus fameux. » Aussitôt après son avènement, Knobelsdorf a été nommé surintendant des bâtimens et des jardins, et il doit immédiatement présider à l’arrangement du parc de Berlin et à la mise en état des châteaux de Charlottenbourg, de Schoenhausen, de Monbijou et de Potsdam. Pesne est confirmé dans sa charge de peintre de la cour, charge qui sous Frédéric cessera d’être une sinécure ; de son côté, Graun est prié d’écrire la musique pour les obsèques du feu roi et il reçoit la direction de la chapelle. Celle-ci se complète par l’adjonction de quelques artistes de talent, parmi lesquels il convient de citer un frère de Benda et surtout Ph. Emmanuel Bach, le second fils du grand compositeur. Quantz a été, lui aussi, immédiatement appelé de Dresde près de son ancien élève, qui l’attache à sa personne avec des appointemens égaux à ceux de Graun, deux mille thalers, somme considérable pour l’époque, sans préjudice du paiement de toutes ses compositions. Le spectacle de la cour est également rétabli, et Graun, à qui a été confié le soin de recruter en Italie la troupe d’opéra, profite pour sa propre instruction de ce voyage qui le met en relation avec les artistes et les compositeurs les plus célèbres de l’époque.

A côté des agens spéciaux que Frédéric entretient à l’étranger, ses ambassadeurs et aussi, à l’occasion, ses amis, les compagnons de sa jeunesse, son secrétaire Darget, Pollnitz, le marquis d’Argens, — que ses goûts et ses relations avec la société parisienne désignaient pour cet office, — et sa sœur elle-même doivent le renseigner ou lui servir d’intermédiaires pour ses acquisitions ou pour les démarches à faire auprès des artistes qu’il voudrait attirer à Berlin. Sa correspondance avec plusieurs de ses agens diplomatiques, notamment avec Rothembourg, son envoyé à Paris, est pleine des recommandations les plus variées. A certains momens, le nombre et la teneur de ses lettres montrent à la fois son infatigable activité et les préoccupations multiples qui traversent son esprit. Mais si Frédéric veut être tenu au courant de tout ce qui se passe en Europe, son attention, on le devine, est tournée surtout vers la France. Le goût de nos artistes, leur talent et leur fécondité sont continuellement pour lui une cause d’étonnement et d’envie. Bien souvent dans