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De tout ce mouvement qui devait transformer les conditions de la production, il ne restait guère, il y a quelques années, qu’un souvenir, une vingtaine de sociétés comptant tout au plus 4,000 adhérens. On s’efforce aujourd’hui de leur donner une vie un peu factice. Un bureau a été créé tout exprès au ministère de l’intérieur pour leur prodiguer des encouragemens. Il est même question de constituer des privilèges au profit des sociétés de production et de leur permettre de concourir aux adjudications de la Ville sans déposer de cautionnement. Quel sera le résultat de ces efforts ? Je l’ignore ; mais ce que je sais, c’est que, dans un récent congrès ouvrier, un des orateurs a pu parler de l’illusion coopérative sans soulever dans son auditoire aucune protestation. Faut-il voir, en tout cas, dans la reprise de ce mouvement un moyen de remédier à l’insuffisance des petits salaires ? En aucune façon. Ce n’est pas, en effet, sur un salaire insuffisant qu’on peut économiser l’argent nécessaire pour acheter une action de société coopérative, cette action ne valût-elle que 25 francs, et d’ailleurs ce n’est pas l’intérêt d’une seule action qui changera beaucoup la situation du travailleur. Il faudrait au moins qu’il en pût posséder plusieurs. L’association coopérative n’est donc, comme les grèves, qu’un moyen d’augmenter encore les gros salaires. Notons d’ailleurs en passant que, parmi ces associations, celles qui font de bonnes affaires s’empressent de s’adjoindre sous le titre d’auxiliaires de simples salariés, qu’elles paient même assez maigrement.

Tout autre est le système de la participation aux bénéfices, c’est-à-dire l’abandon volontairement consenti par le patron au profit de ses ouvriers d’une quote-part des bénéfices de son industrie. Peut-être a-t-on un peu exagéré les bienfaits de système, lorsqu’on a écrit « qu’il doit apaiser la querelle du capital et du travail, adoucir les haines, modérer les exigences, éloigner le péril des grèves et des révoltes. » Les esprits rigoureux n’ont point eu de peine à démontrer que le jour où la participation aux bénéfices cesserait d’être une faveur accordée par tel ou tel patron à ses ouvriers pour devenir un usage constant, bien des questions irritantes naîtraient de ce partage même. Loin qu’on vît s’adoucir la querelle du capital et du travail, il se pourrait bien faire que le travail ne trouvât pas sa part assez grande, et les exigences des ouvriers, au lieu da se modérer, pourraient bien s’accroître en raison de la concession qui leur serait faite, dès que cette concession prendrait à leurs yeux le caractère d’un droit. Il en serait indubitablement ainsi, le jour où la participation des ouvriers aux bénéfices cesserait d’être un abandon volontaire de là part du patron pour devenir une clause imposée par un cahier des charges quelconque. Telle est la condition nouvelle que nos édiles rêvent