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développement de la misère, combien la répugnance égoïste et systématique des hommes, se joignant aux complications d’une législation mal conçue, rend le mariage difficile aux femmes. Aussi un troisième parti, le plus facile même, s’offre-t-il à elles : prendre un amant. Beaucoup succombent à cette tentation, donnant à leur faiblesse l’excuse malheureusement trop plausible de la nécessité, et, s’il faut garder toute sa sévérité pour celles qui prennent ce parti de gaîté de cœur, il faut avoir, au contraire, des trésors d’inépuisable indulgence pour celles qui ne succombent que par lassitude, après une longue résistance ; triste parti, au reste, car, au bout de quelques années, leur amant les abandonne ordinairement, en leur laissant deux ou trois enfans sur les bras.

Disons tout de suite qu’à côté de ces exemples, qui sont en grand nombre, on rencontre aussi des exemples tout opposés de lutte courageuse. On ne sait pas assez ce que, chez ces petites ouvrières de Paris, dont les unes ont l’air si évaporé, mais les autres si décent et si digne, il se cache de stoïques vertus ; on ne sait pas assez grâce à quels prodiges d’économie, de sobriété, de privations, elles parviennent à soutenir non-seulement elles-mêmes, mais parfois une mère infirme ou des sœurs en bas âge, rognant sur toutes les dépenses, ne buvant jamais de vin, mangeant rarement de la viande, et, le jour où le travail manque, vivant avec quelques sous de pain et de lait. Lorsqu’on réfléchit que beaucoup de ces jeunes filles passent leurs journées à manier des étoffes de soie, à ourler des peignoirs de dentelle, et que, dès l’enfance, elles savent parfaitement à quel triste et facile prix tout ce luxe peut s’acquérir, il faut reconnaître que, dans notre grande cité, plus corrompue peut-être en apparence qu’en réalité, il n’y a rien d’aussi digne de respect que ces modestes existences et d’aussi grand que ces humbles vertus.


IV

Existe-t-il quelques moyens d’améliorer la situation des salariés en faisant hausser la rétribution du travail ? Il en existe, en effet, et de deux natures ; les moyens violens et les moyens pacifiques. Les moyens violens sont les grèves, et Dieu sait si, depuis vingt ans, les ouvriers parisiens en particulier se sont fait faute d’avoir recours à cette arme ! On a beaucoup écrit à propos des grèves, et généralement pour condamner l’emploi de ce procédé brutal. Quelques économistes ont même soutenu que, quel qu’en fût le résultat apparent, les grèves étaient toujours nuisibles aux ouvriers. Il me paraît cependant aussi impossible de condamner les grèves d’une