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rouges et gonflées, ses doigts sont las et usés. Avec une hâte fiévreuse, elle pousse son aiguille, elle tire son fil, et, sans relâche, d’une voix aigre et gémissante, elle chante la chanson de la chemise.


Toutes ces professions, dont nous venons de voir la maigre rétribution, sont cependant comprises dans la catégorie de celles où une certaine instruction technique est nécessaire. Au-dessous, il y a les professions de la troisième catégorie, celles où les femmes n’apportent que leurs bras et leur bonne volonté ; ouvrières employées chez les fabricans d’allumettes chimiques, de chandelles, de caoutchouc, de couvertures, de ouates, chez les tisseurs de châles et les effilocheurs de laines ; ouvrières employées au bobinage, au lavage et au triage des chiffons, à l’enlèvement des ordures, rebut de la population féminine, réduites par inconduite, par ignorance, et malheureusement aussi quelquefois par infirmité, à ces tristes et malpropres métiers. M. Paul Leroy-Beaulieu, qui en 1873 évaluait à 15,000 le nombre de ces femmes, leur attribuait un salaire de 1 franc à 1 fr. 50 par jour. Il y faut joindre également la nombreuse catégorie des femmes de ménage et des femmes de journée, qui correspond à celle des hommes de peine et qui naturellement est encore moins payée. Nous sommes arrivés ici au dernier rang du travail féminin. Il ne nous reste qu’à compléter cette triste nomenclature en disant que, d’après le dernier recensement de la population indigente, il y a 41,291 femmes inscrites sur les listes des bureaux de bienfaisance, — tandis qu’il n’y a que 25,092 hommes, — et que dans ce nombre figurent 5,168 femmes de journée, 2,298 femmes de ménage, 1,436 lingères et 1,217 couturières.

Que ressort-il de ces indications ? On se souvient que nous avons fixé à 850 francs par an, c’est-à-dire à un salaire de 2 fr. 75 par jour pour 300 jours de travail, le gain annuel nécessaire pour vivre à Paris à l’abri du besoin. J’admets (pour ne pas m’exposer au reproche d’une philanthropie exagérée) que ce chiffre soit un peu trop élevé, s’il s’agit d’une femme, et qu’elle puisse vivre avec 700 francs, avec 650 francs même, si l’on veut. (Comment vit-on à Paris pour 650 francs ? ) Ce chiffre suppose toujours, pour 300 jours de travail, un salaire de plus de 2 francs par jour. Or ce salaire est-il celui que touche la majorité des femmes ? L’auteur d’une intéressante étude sur le Travail féminin à Paris[1], Mme de Barrau,

  1. Il est regrettable que, dans cette étude remarquable à plus d’un titre, Mme de Barrau se laisse emporter et aveugler par sa haine des congrégations religieuses. Elle n’hésite pas à affirmer que, d’un bout à l’autre du territoire, les congrégations ont ourdi une vaste conspiration pour avilir les salaires des métiers exercés par les femmes et les faire tomber par là dans leur dépendance : comme remède, elle conseille aux femmes de fonder des sociétés coopératives de lingerie.