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aussi plus accommodantes. Ce sont les grèves de ces dernières années qui ont contribué à pousser si haut les salaires des hommes. Les grèves de femmes, à Paris du moins, sont fort rares, et sans compter l’honneur qui doit en revenir à la douceur de leur caractère, comme elles travaillent assez rarement dans de grandes usines et beaucoup plus fréquemment dans de petits ateliers ou a domicile, les grèves seraient pour elles d’une organisation difficile, sinon impossible. Mais quelle qu’en soit l’explication, le fait est constant, et nous allons en rencontrer une première preuve.

Nous avons distingué, parmi les professions exercées par les hommes, celles où le salaire rémunère surtout le don naturel et l’intelligence, celles où il rémunère à la fois l’aptitude professionnelle et l’effort physique, enfin celles où il rémunère presque exclusivement l’effort physique, et nous avons constaté que de ces trois catégories de professions, la première était de beaucoup la plus avantageuse. Or il y a très peu de professions exercées par les femmes qui puissent être rangées dans cette première catégorie. On ne peut guère citer, comme procurant à certaines femmes des salaires exceptionnellement élevés, que les professions de peintres sur porcelaine travaillant pour la manufacture de Sèvres (elles sont en très petit nombre), de compositrices de dessins pour châles et tentures (en très petit nombre également, cette profession étant presque complètement absorbée par les hommes) et de monteuses de guirlandes de fleurs. Les femmes qui exercent ces professions peuvent arriver à se faire un salaire d’environ 8 francs par jour, ce qui correspond à un salaire de 10 à 12 francs pour les hommes. Les autres professions ayant un certain caractère artistique où les hommes se font un salaire élevé, orfèvrerie, bijouterie, ciselure, gravure, sont fermées aux femmes, bien que, depuis quelques années, on ait institué pour elles des cours de gravure sur bois. Cependant une profession nouvelle s’est ouverte pour les femmes depuis un certain nombre d’années, celle de l’imprimerie. On sait à quelles énergiques protestations l’emploi des femmes dans l’imprimerie a donné lieu au début de la part des compositeurs typographes, qui ont fait preuve tout à la fois, dans cette circonstance, de l’égoïsme qui est naturel à l’homme, et de l’étroitesse de vues qui est spéciale à l’ouvrier quand ses intérêts corporatifs sont en jeu. On a pu voir par les chiffres que j’ai donnés si la concurrence des femmes a eu pour résultat de faire baisser le salaire des hommes dans les imprimeries. Il s’en faut, au reste, que la profession soit aussi lucrative pour les femmes que pour les hommes. Bien que, dans certaines grandes imprimeries, elles soient payées d’après le même tarif que les hommes (0 fr. 65 le mille de lettres),