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semblé être le minimum du coût de la vie, et que même, dans la troisième catégorie, la moins favorisée, les salaires variaient généralement de 3 fr. 50 à 5 francs. Enfin nous avons vu également qu’en dehors de ces trois catégories, il existait encore un certain nombre d’individus dont le gain journalier était presque impossible à évaluer, mais devait cependant atteindre difficilement 3 francs. Il serait intéressant de pouvoir dire avec exactitude comment la population qui vit de son travail se répartit entre ces différentes catégories. Malheureusement les résultats détaillés du dénombrement de 1881 n’ont pas encore paru. Si l’on se reporte à ceux de 1876, on voit qu’à cette date le nombre des ouvriers employés à Parts dans les usines, les manufactures et dans les arts et métiers de diverse nature, s’élevait à 248,992, en chiffres ronds 250,000 ; celui des hommes de peine, journaliers, etc., à 74,128, en chiffres ronds 75,000, enfin celui des mendians, vagabonds, individus sans profession, à 15,111. Si ces chiffres ont augmenté avec la population, il n’est pas probable que les proportions aient varié beaucoup. On pourrait donc dire aujourd’hui que, sur l’ensemble des individus vivant à Paris de leurs gains journaliers, 74 pour 100 gagnent la francs par jour et au-dessus jusqu’aux chiffres les plus élevés, 22 pour 100 de 3 à 4 francs, et 4 pour 100 seulement moins de 3 francs. Ce sont là sans doute des évaluations très approximatives ; mais ces indications suffisent pour donner le droit d’affirmer qu’à Paris l’insuffisance des salaires ne saurait être représentée comme une cause générale de la misère, et qu’il n’y a rien de vrai au point de vue expérimental dans la fameuse maxime de Turgot rajeunie par Lasalle : « En tout genre de travail, il doit arriver et il arrive, en effet, que le salaire de l’ouvrier se borne à ce qui est nécessaire à sa subsistance. » Il faut même aller plus loin et reconnaître que Paris est, comme on le répète souvent, le paradis terrestre des ouvriers. Lorsqu’on pense qu’un grand nombre d’entre eux se fait annuellement par son travail une somme qui varie de 2,000 à 3,000 francs et qu’on compare leur situation à celle des employés qui touchent un traitement égal ou même inférieur, car il y a nombre d’employés à 1,800 et même à 1,500 francs, on ne saurait nier que la situation des ouvriers ne soit infiniment plus enviable, car l’employé est obligé de satisfaire à des conditions d’existence dont l’ouvrier est affranchi. L’employé ne peut pas porter la blouse ; il ne peut pas manger dans une gargote ou dans un fourneau économique ; il est obligé de se loger dans une maison décente. Avec un salaire moins élevé, la vie lui revient donc plus cher, et cependant on n’a jamais vu les employés à 1,800 se mettre en grève et quitter leur bureau pour aller faire une manifestation pacifique, ou soi-disant telle, sur l’esplanade des Invalides.