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La dépense de nourriture est presque nulle, ce qui a été ramassé dans les tas d’ordure ou donné directement aux placiers y subvenant en grande partie. La dépense en vêtemens est très faible, car ils sont obligés en quelque sorte par leur profession même d’être en haillons et ils ne sont pas tenus à cette décence du costume qui s’impose à l’ouvrier parisien. Il serait donc facile à beaucoup d’entre eux d’économiser un peu et d’arriver avec le temps à s’établir maîtres chiffonniers, ce qui est le débouché de la profession. Pourquoi ne le font-ils pas ? Parce que, cela est triste à dire, le plus clair de leur gain passe au cabaret. Beaucoup vont directement dépenser chez le marchand de vin l’argent qu’ils ont touché pour le prix de leur vidée. Nulle part je n’ai vu autant de figures enluminées et senti autant d’haleines respirant l’alcool que dans la cité de la Femme en culotte. Les chiffonniers vivent généralement au jour le jour, et rarement une pièce de monnaie leur reste entre les doigts. Aussi les prévoyans, les économes, sachant combien ils auraient de peine à conserver dans leur poche les 3 ou 4 francs qu’il leur faut chaque semaine verser entre les mains de leur propriétaire, mettent-ils à part chaque matin une portion de leur vidée. Le jour du terme arrivé, ils vendent cette réserve en bloc et ils vont immédiatement s’acquitter entre les mains du gérant ou du propriétaire de la cité. Vis-à-vis de ceux qui n’ont pas eu cette sagesse, le propriétaire ou le gérant se trouve dans un certain embarras. Comment s’y prendre pour extirper d’eux la redevance hebdomadaire ? Saisir leurs meubles ? Souvent ils n’en ont d’autre que le lit, insaisissable. Voici alors comment le propriétaire procède. Il enlève la porte et la fenêtre de la chambre du locataire en retard, et il patiente une semaine. Au bout de la semaine, pour ravoir sa porte et sa fenêtre, le locataire récalcitrant s’arrange souvent pour payer l’arriéré. Sinon il est expulsé et va traîner sa misère ailleurs. Aussi les cités de chiffonniers changent-elles souvent d’habitans et leurs habitans sont-ils généralement fort dégradés. C’est, je crois, une erreur de penser comme certains publicistes que le chiffonnier, pouvant avec avantage associer à son industrie sa femme et ses enfans, constitue un embryon sauveur de famille-souche dans notre société désorganisée. En réalité, le chiffonnier est le plus souvent un paresseux ou un déclassé, qui vit dans des conditions fort misérables, mais qui est un peu l’auteur de sa propre misère, et sur lequel il n’y a pas grande illusion à conserver.

Résumons maintenant en quelques mots ces indications trop longues, bien que très incomplètes. Nous avons vu que, dans les deux premières catégories de professions, les salaires s’élèvent notablement au-dessus de ce chiffre de 2 fr. 75 à 4 francs, qui nous a