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côté, celui qui, dans la classe ouvrière, dépense plus de 1,200 francs pour son entretien isolé, celui-là, sans mener grasse vie, il s’en faut, ne saurait non plus être considéré comme à plaindre. En comptant dans l’année trois cents jours ouvrables (avec les dimanches et jours fériés il est impossible de compter davantage), il faut, pour arriver à ces chiffres minima, un salaire variant de 2 fr. 75 environ à 4 fr. par jour. Au-dessous de 2 fr. 75, c’est la misère ; au-dessus de 4 fr. c’est la vie assurée, toujours bien entendu pour un individu isolé, car, lorsqu’il s’agit d’un ménage, la dépense doit être augmentée d’environ moitié, et ensuite d’un tiers par tête d’enfant. Il était, je crois, nécessaire d’avoir ces chiures arrêtés dans la pensée avant de rechercher dans quelle mesure l’insuffisance des salaires est à Paris la cause de la misère.


III

Une nomenclature complète des professions parisiennes et des salaires afférens à ces professions ne saurait trouver place dans un travail aussi restreint que celui-ci. Ce qui d’ailleurs rendrait assez difficile de dresser cette nomenclature, c’est l’absence presque complète de documens récens. La chambre de commerce de Paris a bien fait paraître, en 1864, les résultats d’une enquête très minutieuse entreprise par elle sur les salaires ; mais cette enquête n’a point été renouvelée, et les renseignemens qui sont épars dans les publications de la statistique générale ne sont ni assez circonstanciés ni assez récens pour qu’on puisse s’en contenter. Ce qui peut au reste consoler de cette rareté des documens, c’est qu’en pareille matière, lorsqu’on s’inquiète surtout de la situation des individus, il faut se méfier un peu des statistiques, et beaucoup des moyennes. Que, dans une usine, la moitié des ouvriers touche 8 francs et l’autre moitié 2 francs par jour, la statistique vous dira gravement que la moyenne des salaires dans cette usine est de 5 fr., tandis qu’en réalité les uns touchent un salaire supérieur et les autres un solaire inférieur à ce chiffre. Mieux vaut encore le procédé des recherches individuelles, qui donne des résultats moins complets, mais plus sûrs. C’est celui auquel j’ai eu recours, et j’exposerai les renseignemens que j’ai pu obtenir ainsi en introduisant dans cette exposition certaines divisions nécessaires à la clarté.

Il y a d’abord une première distinction à établir entre les salaires des hommes et les salaires des femmes. Profonde est en effet la différence qui existe entre la situation des hommes et celle des femmes au point de vue de la rémunération de leur travail. Toutes