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naissances par mariage, car c’est principalement par la fécondité des unions légitimes que s’accroît la population. En France, la moyenne annuelle des naissances par 1,000 femmes mariées est de 175 enfans. (Notons en passant qu’en Prusse elle est de 275, ce qui, sous certains rapports, donne raison aux craintes de M. Richet.) A Paris, la moyenne n’est que de 123, d’après le relevé des naissances de 1880. Mais cette moyenne s’établit par de singulières différences entre les arrondissemens. C’est ainsi que les chiffres de naissances les plus faibles sont fournis par les arrondissemens les plus riches : le IXe arrondissement donnant seulement 86 naissances par 1,000 femmes mariées, et le VIIIe seulement 73[1]. En revanche, le chiffre de naissances le plus élevé est donné par l’arrondissement le plus pauvre, le XIIIe : 180 naissances par 1,000 femmes mariées. Viennent ensuite le XIXe et le XVe (Vaugirard) avec 164 naissances, le XXe (Belleville) avec 160. Ici, la proportionnalité est en quelque sorte rigoureuse, et on s’en convainc davantage encore lorsqu’on entre dans le détail des naissances par quartier. C’est ainsi que le VIIe arrondissement (faubourg Saint-Germain) donnerait une moyenne de naissances qui ne dépasserait pas celle du VIIIe et du IXe, s’il n’y avait un quartier où le chiffre des naissances est le double de ce qu’il est dans chacun des trois autres : c’est le Gros-Caillou, le seul quartier où il y ait beaucoup de misère. Ajoutons que cette proportion constante du simple au double n’est pas la proportion véritable. Il n’y a pas, en effet, de circonscriptions riches où il n’y ait des indigens, et il n’y a pas de circonscriptions indigentes où il n’y ait des gens riches ou du moins aisés. Mais s’il était possible de dresser une statistique strictement proportionnelle du nombre d’enfans qu’on rencontre dans les ménages aisés ou riches et de ceux qu’on rencontre dans les ménages indigens, on verrait, j’en suis persuadé, que c’est une proportion du simple au triple dont il faudrait parler.

A supposer même que les renseignemens fournis par la statistique n’eussent pas une force de démonstration aussi grande, l’observation seule, dont il ne faut pas toujours dédaigner le témoignage, suffirait pour affirmer cette extraordinaire fécondité de l’indigence. Pour peu que la charité, ou la curiosité simple, conduise quelquefois votre promenade dans un de ces quartiers excentriques où la misère s’étale, ou vous pousse à gravir, dans le centre de Paris, les escaliers des maisons à six étages où elle se cache, il est impossible que

  1. Le chiffre des naissances est celui de l’année 1880, et celui des femmes mariées dans chaque arrondissement a été donné par le recensement de 1876. La population s’étant accrue depuis, ces chiffres ne sont pas absolument exacts au point de vue de la proportionnalité ; mais au point de vue de la comparaison entre les arrondissemens, ils n’en présentent pas moins d’intérêt. L’Annuaire qui doit contenir les résultats du dernier dénombrement n’a pas encore été publié.