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hautes, celles de la raison et de la moralité, le génie, l’héroïsme, la vertu. Enfin, chez les individus eux-mêmes, elle ne s’offre pas avec des caractères identiques ; elle mesure exactement son empire sur le degré de force et de personnalité de chacun de nous, gouvernant tyranniquement les uns, ne touchant que légèrement les autres, abdiquant devant les résistances décidées.

De tout cela ne résulte-t-il pas un enseignement certain et comme une démonstration éclatante ? La loi d’hérédité s’atténue ou s’aggrave, selon que l’on s’élève ou que l’on s’abaisse dans la hiérarchie des facultés et des êtres. On peut suivre ainsi à la trace l’action et la réaction du pouvoir personnel en lutte avec cette loi qu’il modifie, qu’il suspend ou qu’il supprime. C’est, en d’autres termes, la lutte éternelle de l’espèce et de l’individu, ou, en des termes plus généraux encore, l’antithèse de la nature et de l’homme. Non pas que la nature soit jamais détruite dans l’homme ; mais il dépend de nous d’en restreindre l’empire et de convertir dans une certaine mesure la fatalité en liberté. Oui, sans doute, le déterminisme a sa part jusque dans le monde moral, mais quelle part ? Les esprits absolus et sans nuance préfèrent les grosses solutions, les solutions absolues comme eux. La vérité est plus difficile à démêler. Jusqu’au centre de l’esprit nous retrouvons des élémens de l’universelle nécessité. L’hérédité pénètre dans notre for intérieur ; là elle rencontre le pouvoir personnel qui entre en lutte, qu’elle domine ou qui la domine ; c’est le problème moral qui commence. L’hérédité fournit les élémens et les matériaux de notre liberté future, c’est sur eux qu’elle doit s’établir ; ces élémens sont la matière à laquelle elle imprimera sa forme. C’est précisément l’œuvre et le signe de notre personnalité de façonner à son image toutes ces influences variées qu’elle rencontre autour de son pouvoir naissant, de les transformer et de s’en dégager en se créant sans cesse elle-même et se développant par son libre effort.

Il reste à poursuivre dans leurs principaux effets les combinaisons variées de ces deux principes également irrécusables, l’hérédité et la personnalité ; nous verrons comment leur mélangé continuel et leur jeu réciproque rendent compte, par des conséquences inattendues et simples, des plus grands phénomènes de la vie individuelle et sociale.


É. CARO.