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des Hallam, des Schlegel. Viennent enfin les facultés actives, celles qui font les hommes politiques et les grands hommes de guerre, et dont on prétend qu’elles sont héréditaires comme les autres. Une énergie fortement trempée, toujours en exercice et les qualités qu’elle suppose, hardiesse, courage, confiance en soi, ascendant sur les timides, empire sur les irrésolus, tout cela qui constitue l’homme d’action, l’homme d’initiative, le grand capitaine ou l’homme d’état est-il transmissible ? On n’hésite pas à répondre par une affirmation absolue, et comme types d’hérédité ascendante et descendante on cite, parmi les hommes politiques César, Charles-Quint, Cromwell, les Guise, les Mirabeau, les Richelieu, les Pitt ; parmi les hommes de guerre, Alexandre le Grand, Annibal, Charlemagne, Gustave-Adolphe, Napoléon.

Ces longues nomenclatures produisent une sorte de vertige. Il faut s’y soustraire par quelques réflexions bien simples qui diminueront un peu la valeur des faits artificiellement assemblés. Nous ne voudrions pas entrer, ce qui serait facile, dans une discussion anecdotique qui réduirait beaucoup la part à faire, soit aux ascendans, soit aux descendans de ces privilégiés du talent ou du génie ; mais en réalité que représentent tous ces faits, laborieusement recueillis dans l’histoire de tous les temps et de tous les pays, au prix de l’immense, de l’inépuisable réalité qui remplit la vie ? Quelques cas isolés, exceptionnels, extraordinaires, dont l’imagination est saisie en raison même de leur singularité. Si, dans cet ordre de phénomènes, l’hérédité était la loi visible, incontestable, remarquerait-on, par exemple, la mémoire extraordinaire des Porson, ou la faculté politique des Médicis, ou le don musical des Bach ? On remarquerait, au contraire, les cas qui feraient exception à la règle ; ce serait la non-hérédité que l’on signalerait à notre attention. Qu’arriverait-il de ces fameuses listes de M. Galton, si l’on dressait celle des faits négatifs ? On nous répondra, je le sais, que partout où un fait négatif se produit, il y a eu quelque cause perturbatrice provisoirement ignorée. Cela est bien possible, on peut imaginer cette raison et bien d’autres. Cependant, si le nombre des cas négatifs, notés par un observateur attentif pendant une certaine période d’années, dans le cercle restreint de la vie ordinaire et non pas seulement sur le théâtre des grands événemens, si le nombre des cas inexplicables par la loi de l’hérédité mentale excédait celui des cas auxquels elle semble s’appliquer, que deviendrait la loi elle-même et que serait-ce qu’une loi qui ne régirait que des exceptions ? Que faudrait-il en conclure, avec la plus grande indulgence, sinon que cette loi reste fort obscure chez les individus, que son action se complique de mille influences qui la contrarient ou l’annulent, en un mot, qu’en dehors de certains faits extraordinaires, mais où d’autres causes