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communal ; nous trouvons « odieux et contraire à tous les principes que, parmi les municipalités, les unes soient riches et les autres pauvres, que l’une ait des biens patrimoniaux immenses et l’autre seulement des dettes[1]. » Nous mettons ces dettes à la charge de la nation. Nous prenons le blé des communes et des départemens riches pour nourrir les communes et les départemens pauvres. Nous faisons aux frais de l’état les ponts, les routes et les canaux de chaque district ; « nous centralisons[2] d’une façon large et opulente le travail du peuple français. » Nous ne voulons plus d’intérêts, souvenirs, idiomes et patriotismes locaux. Entre les individus il ne doit subsister qu’un lien : celui qui les attache au corps social; tous les autres, nous les brisons ; nous ne souffrons pas d’agrégat particulier; nous défaisons de notre mieux le plus tenace de tous : la famille. «A cet effet, nous assimilons le mariage aux contrats ordinaires : nous le rendons fragile et précaire, aussi semblable que possible à l’union libre et passagère des sexes : il sera dissous à la volonté des deux parties et même d’une seule des parties, après un mois de formalités et d’épreuve ; si, depuis six mois, les époux sont séparés de fait, le divorce sera prononcé sans aucune épreuve ni délai ; les époux divorcés pourront se remarier ensemble. D’autre part, nous supprimons l’autorité maritale : puisque les époux sont égaux, chacun d’eux a des droits égaux sur les biens communs et sur les biens de l’autre ; nous ôtons au mari l’administration, nous la rendons « commune » aux deux époux. Nous abolissons « la puissance paternelle ; » « c’est tromper la nature que d’établir ses droits par la contrainte... Surveillance et protection, voilà tous les droits des parens[3]>. » Le père ne dirige plus l’éducation de ses enfans ; c’est l’État qui s’en charge. Le père n’est plus le maître de ses biens ; la quotité dont il dispose par donation ou testament est infime ; nous prescrivons le partage égal et forcé. — Pour achever, nous prêchons l’adoption, nous effaçons la bâtardise, nous conférons aux enfans de l’amour libre ou de la volonté arbitraire les mêmes droits qu’aux enfans légitimes. Bref nous rompons le

  1. Mémoires de Carnot, par son fils, I, 278. (Rapport de Carnot.) « Ce n’est pas là vivre en famille. — S’il y a des privilèges locaux, il y en aura bientôt d’individuels, et l’aristocratie des lieux entraînera l’aristocratie des habitans. »
  2. Moniteur, XIX, 683. (Rapport de Barère, 21 ventôse an II.) Ce rapport est à lire tout entier, si l’on veut bien comprendre l’esprit communiste et centralisateur des jacobins.
  3. Fenet, Travaux du code civil, 105. (Rapport de Cambacérès, 9 août 1793 et 9 septembre 1794.) — Décrets du 20 septembre 1793 et du 4 floréal an II (sur le divorce.) — Cf. les Institutions de Saint-Just. (Buchez et Roux, XXXV, 302.) « L’homme et la femme qui s’aiment sont époux ; s’ils n’ont point d’enfans, ils peuvent tenir leur engagemens secret. »