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la cavalerie d’Alsace fut écrasée. Isembourg est criblé de blessures, son cheval s’abat ; il est pris un moment par un cuirassier de Gassion, puis dégagé ; ses cavaliers, qui l’adoraient, l’entraînent presque mourant loin du champ de bataille. Un brave colonel, Savory, essaie de prendre sa place et veut tenter un effort désespéré contre l’infanterie française ; il est frappé avant d’avoir pu charger, et les derniers débris des cent cinq cornettes qui, le matin, composaient la brillante cavalerie du roi catholique, sont dispersés.

Au bruit et au tumulte du combat succèdent, pour quelques instans, un silence et un calme presque aussi effrayans. Hommes, chevaux sont à bout ; il faut à tous quelques instans de repos. Chacun semble se recueillir pour une lutte suprême. Le duc d’Anguien est auprès de Sirot, remet l’infanterie en ordre, veille au ralliement de la cavalerie de La Ferté ; celui-ci a été tiré des mains de l’ennemi, mais il a été si grièvement blessé qu’il ne peut combattre ; Gassion est resté sur les derrières de l’armée ennemie, empêchant les fuyards de se rallier et surtout veillant du côté du nord, là où peut paraître l’armée du Luxembourg, car Beck peut encore survenir. C’est le souci du duc d’Anguien, c’est le dernier espoir de l’infortuné Melo, que la défaite des Italiens a rejeté dans le gros des « Espagnols naturels. »

De toute l’armée du roi catholique, les tercios viejos sont seuls debout. Ils forment un rectangle allongé. Leurs rangs se sont grossis des épaves de l’infanterie frappée auprès d’eux : Bourguignons, Italiens, officiers sans troupe, cavaliers démontés ou blessés se pressent ou plutôt s’encadrent au milieu d’eux, bouchant les vides, remplissant les intervalles déjà trop étroits qui séparaient les bataillons. Ils ne peuvent plus manœuvrer, ils sauront mourir.

M. le Duc attendra-t-il pour reprendre l’action que ses escadrons soient reposés ou ralliés, ses bataillons remis des chocs qu’ils ont reçus, le canon relevé ? — Mais si l’infanterie espagnole essayait de se déployer, de prolonger ses lignes de feu ! — Que recèle ce grand rectangle, cette forteresse vivante ? Et si Beck arrivait ! — Il faut battre le fer, user les forces de l’ennemi, lui rendre toute manœuvre impossible, le paralyser jusqu’au moment où on pourra le détruire. Cela coûtera cher peut-être ; mais la victoire est à ce prix. L’attaque commence sans délai ; les bataillons les moins fatigués ou les premiers rétablis s’avancent : Picardie et La Marine à droite, les royaux, les Écossais et les Suisses au centre, Piémont et Bambure à gauche. M. le Duc est avec eux, suivi de ses gardes et de quelques escadrons qui ne l’ont pas quitté, prêts à se jeter dans la première brèche ouverte. Des mousquetaires précèdent la ligne pour engager l’escarmouche.