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Dans les rangs pressés de l’infanterie ennemie, il était malaisé de suivre les incident qui se succédaient depuis que la cavalerie d’Albuquerque et celle du duc d’Anguien étaient aux prises. Les yeux, les esprits, les cœurs étaient tout entiers à la bataille engagée devant le front, et chacun, chefs et soldats, se préparait à y prendre part quand la troisième ligne fut subitement abordée et poussée sur la seconde. C’est une suprême épreuve pour une troupe qu’une attaque imprévue sur ses derrières. « Nous sommes tournés ! » est un cri d’alarme qui émeut les plus braves. Peut-être les Wallons, mécontens de quelques-uns des actes de Melo, n’étaient-ils pas ce jour-là disposés aux grands sacrifices ; mais Wallons et Allemands, tous étaient là placés dans des conditions défavorables. Beaucoup de mousquetaires détachés la nuit aux avant-postes n’avaient pas reparu ; nous savons où ils gisaient. D’autres avaient déjà été dirigés sur le front en prévision d’un mouvement offensif ; peu d’armes à feu pour arrêter les chocs qui se pressent. Et avec quelle ardeur arrivaient nos cavaliers, menés par un tel chef ! Ils passent comme un torrent au milieu des bataillons. Ceux-ci sont si rapprochés qu’ils craignent de tirer les uns sur les autres et que la contagion du désordre est bien vite incurable ; en quelques minutes, toute l’infanterie wallonne et allemande est complètement rompue. Les fuyards qui se jettent en dehors, dans la direction des bois, sont ramassés par Gassion ou par les Croates ; une masse confuse roule instinctivement vers la place qu’a laissée vide la cavalerie d’Isembourg.

C’est là que Melo avait choisi son poste. Inquiet, agité durant la nuit, il commençait à reprendre confiance et suivait d’un œil complaisant les progrès de son aile droite lorsqu’on vint lui apprendre la défaite d’Albuquerque. Il veut y courir avec quelques cornettes que lui a laissées Isembourg et tombe au milieu de son infanterie en déroute. Aveuglé par la fumée et la poussière, il allait se jeter dans un escadron français quand son capitaine des gardes, Duque, l’arrête et le ramène auprès d’un brave mestre de camp, le comte de Ritberghe, qui cherchait à reformer son régiment. Le capitaine-général harangue les soldats, essaie de les entraîner, ou plutôt de les retenir ; mais le flot le déborde. Les chevau-légers français le reconnaissent, le pressent ; son bâton de commandement lui échappe et il n’a que le temps de chercher refuge dans le bataillon du chevalier Visconti. « Je veux mourir ici avec vous, messieurs les Italiens[1], crie don Francisco. — Nous sommes tous prêts à mourir pour le service du roi, » répond Visconti, et il fut pris au mot, car

  1. Aqui quiero morir con los señores italianos. (Récit de Vincart.)