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l’infanterie française. Dans les récriminations auxquelles donna lieu la bataille de Thionville, la conduite de ce régiment avait été sévèrement jugée ; il va se relever brillamment le 19 mai. Le mestre de camp, de Nangis, tué en 1644, et Maupertuis, lieutenant-colonel, tué quelques mois plus tard[1], sont présens. « Picardie » est soutenu par « La Marine, » créé en 1636 et déjà classé parmi « les vieux. » C’était le corps favori du cardinal de Richelieu, qui en a donné le commandement à un chef éprouvé, le marquis de La Trousse[2], père de l’ami de Mme de Sévigné.

Soixante ans plus tard, devant Turin, « La Marine » ayant à sa tête son colonel, Le Guerchois, et le duc d’Orléans, donnera trois fois au plus épais de l’ennemi, et trois fois on relèvera le futur régent de France, roulant sous son cheval tué, puis blessé à la hanche, renversé enfin par une balle qui lui a fracturé le poignet. Dans cette sombre journée du 7 septembre 1706, La Marine ne donnera pas la victoire, mais sauvera l’honneur des armes. Les régimens qui portent aujourd’hui ce glorieux nom dans l’armée française n’ont pas dégénéré.

La nuit était survenue et les flammes des foyers allumés par les troupes brillaient sur un fond sombre, lorsqu’Anguien s’arrêta sans aller jusqu’à la cavalerie de l’aile droite, qui était déjà au repos. Il y avait là de véritables corps d’élite : « Royal, Mestre de camp général, » ou cuirassiers de Gassion, d’autres encore, sans oublier les bons régimens étrangers de « Leschelle » et « Vamberg. » Les gardes de M. le Duc ne sont pas auprès de lui, mais à l’extrême avant-garde de la droite, où ils renforcent les deux régimens de Croates. Les aides-de-camp et les volontaires font au prince une brillante escorte. Gassion vient les joindre avec quelques officiers ; tous mettent pied à terre « au feu de Picardie. »

Le silence était profond (alto silenzio)[3] ; les gardes veillaient échangeant le mot de ralliement : Anguien ; « nos soldats, couchés

  1. De Nangis (François de Brichanteau, marquis), né le 4 octobre 1618, cornette des chevau-légers de Condé en 1631, mestre de camp d’un régiment d’infanterie de son nom (1635), obtient le régiment de Picardie en 1640. Nommé maréchal de camp pendant le siège de Thionville (13 juin 1643), il fut tué devant Gravelines le 14 juillet 1644. Louis de Melun de Maupertuis succéda au marquis de Nangis et fut tué presque aussitôt devant Sierck (septembre 1613.)
  2. La Trousse (François Le Hardy, marquis de), volontaire en 1629, capitaine de chevau-légers en 1638, par succession d’un de ses frères tué, lieutenant-colonel de La Marine le 4 mars 1641, colonel-lieutenant en 1642, maréchal de camp en 1644, tué devant Tortose en 1648. Son frère, Adrien, chevalier de Malte, aussi présent à Rocroy comme capitaine dans La Marine, prit le commandement du régiment en 1644, devint maréchal de camp en 1651 et mourut en 1691.
  3. Dépêche de Giuatiniani, ambassadeur vénitien, 23 mai.