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personne un charme étrange qui saisissait et subjuguait. Suivons-le dans cette revue émouvante, passée en présence de l’armée ennemie en bataille, à la veille d’une journée qui peut décider du sort de la France.

La Motte Saint-Cyr lui présente les anciens dragons de Richelieu, que leur nouvel armement a fait nommer fusiliers ; c’est la troupe légère par excellence ; elle flanque l’extrémité de notre ligne ; il lui manque les cent vingt hommes que Gassion a jetés dans Rocroy. Dans cette cavalerie de la gauche qui achève de se remettre en ordre, les Liégeois du marquis de Beauvau figurent à côté des escadrons français de Guiche, de La Ferté, d’Harcourt, d’autres moins connus et du régiment de Marolles, un des derniers levés et déjà un des meilleurs. Marolles, dit le Brave, condamné à mort après un duel fameux[1], vient de passer en exil dix années employées à servir la France hors de France ; il est fort apprécié du duc d’Anguien, qui lui envoie un salut amical et qui salue aussi pour la dernière fois le brillant comte d’Ayen. Henri de Noailles[2] sera tué le lendemain, à la tête des chevau-légers de Guiche.

Voici, à la gauche de l’infanterie, le sombre drapeau des « bandes noires, » souvenir de Jean de Médicis et des guerres d’Italie. Il flotte au premier rang de « Piémont, » le plus populaire, le mieux exercé de nos régimens. Aucun corps ne pratique aussi bien la tactique de l’ordre étendu et des mousquetaires déployés. Les Espagnols l’ont surnommé el Bizarro, le vaillant entre les vaillans, et ils le connaissent bien ; car c’est lui qui a arrêté leur essor à Corbie en 1636 ; ils l’ont retrouvé ailleurs ; s’il avait été soutenu quand il attaquait le bois de La Marfee en 1641, ou quand l’année suivante il défendait l’abbaye d’Honnecourt, le sort de ces deux journées aurait pu être différent. Comme les autres « vieux régimens » français ou suisses, Piémont a plusieurs compagnies détachées en garnison et des officiers supérieurs employés comme gouverneurs de places. Le chef de corps, Gaspard de Coligny[3], dont le

  1. Marolles (Joachim de Lenoncourt, marquis de), condamné à mort en 1633 pour avoir attaqué le baron Des Chapelles, passe dans les états du duc de Savoie et depuis 1635 sert dans les armées de cet allié de la France avec une grande distinction. En 1639, il lève un régiment d’infanterie entretenu par le roi pour la garde de la duchesse de Savoie et de son fils. Rentré en France, il obtient un régiment de cavalerie (18 avril 1643) ; nous le verrons nommer gouverneur de Thionville. Maréchal de camp en 1646, lieutenant-général en 1652, il fut tué d’un coup de canon en 1655 au siège de Mussy en Lorraine, laissant pour héritier de son nom un enfant de huit jours. Il avait reçu vingt-quatre blessures ; cinq de ses frères étaient morts comme lui sur le champ de bataille.
  2. Fils aîné de François de Noailles, gouverneur d’Auvergne et de Roussillon, et de Rose de Roquelaure.
  3. Alors appelé marquis d’Andelot, plus tard duc de Châtillon.