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avant six heures, les troupes des deux lignes étaient en place ; les détachemens qui avaient formé le cordon étaient rentrés à leurs corps respectifs, et la réserve, qui avait tenu l’arrière-garde, achevait de s’établir à 200 mètres en arrière du centre. On avait encore trois heures de jour devant soi ; le duc d’Anguien voulait en profiter. Il craignait l’effet prolongé du canon ennemi sur ses troupes, et son adversaire ne lui semblait pas complètement préparé. Assurément Beck n’était pas là, et toutes les troupes du corps du siège n’étaient pas encore entrées en ligne. Placé à la droite, le général en chef étudie avec Gassion les dernières dispositions à prendre pour marcher en avant par l’arête large qu’il a devant lui, lorsqu’il voit sa gauche s’ébranler et quitter la position défensive qu’il lui avait assignée.

L’Hôpital ne désespérait pas d’épargner à l’armée les risques d’une bataille qui deviendrait sans but, selon lui, si on parvenait à secourir la place. Resté près de La Ferté, il lui fit remarquer que l’aile droite des ennemis n’était pas encore au complet et lui montra certains ravins qui permettaient de pousser un parti jusqu’aux portes de Rocroy. La Ferté, émule un peu jaloux de Gassion, désireux de se signaler, accepta de grand cœur les encouragemens du lieutenant-général et poussa quelques troupes au travers du marais, tandis qu’il essayait de contourner l’étang avec une partie de sa cavalerie ; découvrant ainsi le centre de l’armée et faisant un assez grand vide dans la ligne de bataille. Anguien voit le péril et court à sa gauche pour arrêter ce malencontreux mouvement.

Tandis qu’il y vole, un grand bruit d’instrumens de guerre frappe ses oreilles. Les tambours et trompettes de l’ennemi battent et sonnent la charge ; l’armée espagnole tout entière s’avance. En quelques secondes, dans un de ces instans d’anxiété poignante que connaissent ceux qui ont exercé le commandement, le jeune prince devine ce qui le menace : le détachement de La Ferté enlevé, la gauche délogée, le corps de bataille pris de flanc et de front par un ennemi très supérieur, point de retraite, un désastre plus complet que celui qu’il devait infliger le lendemain aux Espagnols. Il presse son cheval pour essayer de parer ce coup terrible, ou mourir au premier rang et disparaître dans la fumée de sa première bataille.

Mais don Francisco n’était pas de ces hommes rares qui saisissent l’occasion aux cheveux, et qui, par une improvisation rapide, changent sur le terrain un plan arrêté d’avance. Or le combat immédiat n’entrait pas dans son plan. C’était le vieux Fontaine qui, voulant gagner une centaine de mètres pour rectifier sa position et donner plus d’espace à sa seconde ligne, avait ordonné cette démonstration offensive comme une sorte de marche d’essai. Le résultat obtenu, il s’arrêta.