Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/708

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

puisqu’il fallait réussir à tout prix et qu’en somme votre succès sera porté par nous au profit de la doctrine, mais n’y revenez plus ! » Le fait est qu’il y a péché flagrant ; le coupable, à la vérité, n’avoue pas. Que de supercherie il met au contraire à dissimuler sa faute ! Parcourons la table thématique de sa partition : il n’y est parlé ni d’airs, ni de duos, ni de trios, de quatuors ou de finales, aucune des formes organiques de l’opéra traditionnel ne s’y trouve mentionnée. Tournez le feuillet, ce ne sont que romances, strettes et cantabile ; on vous a marchandé le mot, on vous donne la chose à profusion ; pourquoi se plaindre ? Goûtons, applaudissons ces mélodies, dont quelques-unes ont la grâce exquise d’un motif d’Auber, ou la superbe allure d’une phrase de Verdi, et ne récriminons pas trop sur le prix que nous les achetons. Des concessions ! pourquoi n’en ferions-nous pas à notre tour, les doctrinaires en font bien ! Et, s’il y a des gens payés pour être mécontens, ce sont ceux-là bien plus que nous dont les principes triomphent sur toute la ligne.

Trois morceaux ont assuré le succès du nouvel ouvrage de M. Saint-Saëns : la cantilène du roi au premier acte, au second un duo d’amour avec Anne Boleyn, et finalement, au quatrième, le grand quatuor, couronnement de l’édifice. Maintenant soyons francs : qu’est-ce que l’art ayant présidé à l’inspiration ou à la confection de ces morceaux eut jamais de commun avec le wagnérisme, puisque wagnérisme il y a et que tout le monde trafique aujourd’hui de ce cri de guerre dont à peine cinq ou six critiques en France ont approfondi la signification ? La cantilène du roi est un fragment mélodique à l’italienne, un larghetto de six mesures avec quelque réminiscence du chœur des Baigneuses dans les Huguenots ; le duo d’amour se divise en deux parties, l’une principale, l’autre secondaire, tendre et langoureux au début et se terminant, comme un cantique du Sacré-Cœur, par une phrase d’un sentimentalisme et d’un naïf que les esprits difficiles jugeront peu en harmonie avec le caractère de Henry VIII, mais que l’auteur apprécie autrement et ramènera plus tard dans le quatuor final, après en avoir fait le thème de son entr’acte. Car, tout en ne pratiquant pas résolument la foi au wagnérisme, M. Saint-Saëns en connaît les articles et sait au besoin les appliquer. Ainsi du Leitmotif, dont nous parlions récemment ici même à propos de Parsifal, procédé qu’on retrouve partout chez Auber (dans la Muette), chez Herold (dans Zampa), chez Weber, chez Meyerbeer, et qui consiste à rappeler au cours de l’action dramatique un motif déjà entendu, mais que les n)aîtres n’avaient jusqu’alors employé qu’à grands traits dans les situations absolument caractéristiques, tandis que Wagner et ses imitateurs l’ont réduit à des proportions infinitésimales, à de simples groupemens de notes perceptibles aux seuls initiés : le logogriphe et la devinette érigés en principe d’art. Le quatuor a tout d’abord eu le mérite énorme de son à-propos. Qu’on