Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/706

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

instrumentale et créé dans ce genre des œuvres de valeur dont la réputation ait passé les frontières de la France. Berlioz a exercé sur lui une influence incontestable ; il suffit pour s’en convaincre de considérer les litres de ses ouvrages, qui rentrent presque tous dans le genre de la musique pittoresque (Danse Macabre, Phaéton, le Rouet d’Omphale), et en outre de remarquer certains effets d’instrumentation qu’il affectionne particulièrement, l’emploi fréquent des harpes, les pizzicati de violons, etc. Berlioz est un maître exceptionnel, Saint-Saëns ne Test point. Mais, s’il n’a pas le génie de Berlioz, Saint-Saëns est du moins un meilleur musicien que Berlioz, qui jamais n’aurait pu produire une œuvre aussi exclusivement musicale déforme et d’idée qu’un quintette et un trio. »

L’orchestre d’abord, le théâtre ensuite, quand on peut, c’est-à-dire vers cinquante ans, l’âge des jeunes. Je crois le système détestable, mais, puisqu’il existe, il doit avoir ses raisons d’être. Voici tantôt un demi-siècle, lorsque Berlioz fit son apparition, la langue se mourait d’anémie, il en allait de la musique comme de la poésie, où les vieux tropes et les vieilles images, usés, déformés par l’abus des analogies, ne s’adaptaient plus ni aux sentimens ni aux idées. À ce compte, l’auteur de la Symphonie fantastique, en se démenant beaucoup pour l’abatage, accomplissait une œuvre de relèvement. Le premier, chez nous, il eut l’instinct des sonorités, de la coloration harmonique ; de lui procèdent nos symphonistes modernes, dont quelques-uns, Massenet, Saint-Saëns, ont dépassé de beaucoup sa ligne d’opération scientifique. Outre cette impulsion à la fois révolutionnaire et reconstitutive imprimée par Berlioz, il y aurait un second motif de s’expliquer ce développement de la musique instrumentale. Des opéras, chacun est libre d’en composer à sa guise, mais trouver un théâtre qui les représente est une autre affaire, tandis qu’une symphonie, un oratorio, une suite d’orchestre, cela se joue partout. Moins avare que le lustre de nos salles de spectacle, le soleil de la musique instrumentale luit pour tout le monde. On commence par s’y chauffer, puis on s’y attarde, on cultive l’enharmonique, on s’oublie aux enchantemens du perpétuel moduler, et quand le théâtre vous vient un jour par surcroît, on continue ses habitudes de jeunesse, on répond à la critique par des théories. Et la vocation, qu’en faisons-nous ? Car vous aurez beau amonceler les argumens, entasser Pélion sur Ossa, Wagner sur Gluck, il y aura de tous temps des maîtres symphonistes d’un côté et de l’autre des hommes de théâtre. N’est-ce pas l’un des plus courtisés de nos compositeurs qui disait naguère en minaudant à son ordinaire : « Moi, je ne suis point un musicien, je suis un musicier, » en d’autres termes, un arbre créé pour produire de la musique et qui, bon gré mal gré, obéit à sa fonction selon des lois imprescriptibles ? Or le règne musical a ses variétés comme le règne végétal, et s’il est interdit au cerisier de porter des