Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/705

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et surtout rimé par les auteurs du mieux qu’il était possible, mais la force des choses luttait contre eux : il est licite de mettre à son point de vue des personnages d’imagination, mais quand on s’adresse à des figures consacrées, il les faut subir telles qu’elles sont et pousser la pièce jusqu’au bout, même alors qu’elle n’a point de dénoûment, comme c’est le cas cette fois. Sa femme morte, Henry VIII épousera sa maîtresse, et après qu’adviendra-t-il ? Le drame, au lieu de terminer sur la tonique, finit en l’air sur la médiante.

Tous les inconvéniens du sujet se retrouvent dans la musique ; elle est funèbre, ondoyante et diverse dans les tons gris, presque constamment liturgique, quelquefois dramatique, jamais émue. La note caractéristique du synode assombrit l’horizon dès le prélude, et, dès ce début, vous sentez l’énorme part que va s’attribuer la volonté. Il ne s’agit pas d’être inspiré, il s’agit d’écrire et de prouver qu’en écrivant on est un maître, mérite que personne ici ne conteste et dont, par parenthèse, les critiques de la première heure avaient déjà éventé le secret. J’ouvre la Biographie des musiciens de Fétis, et j’y trouve cité au deuxième volume du Supplément cet article d’une date déjà lointaine, mais qui pourrait, au besoin, servir à caractériser en son ensemble d’aujourd’hui le musicien de Henry VIII. « Y a-t-il des idées mélodiques dans la musique de M. Saint-Saëns ? Oui, il y en a ; pas en profusion, mais enfin, dans ses concertos par exemple, on en trouve. Malheureusement, avec sa crainte d’être commun, son amour du détail et de la couleur, l’auteur précipite bientôt ses thèmes dans un flot d’imitations, de canons, où ils disparaissent tout à fait, pressés et étouffés sous une forme qui manque d’air et de naturel, sous une harmonie trop serrée, sous un réseau de dissonances, de cadences évitées qui fait perdre de vue la tonalité et qui déroute l’oreille. Cette monotonie des surprises et des coquetteries ne vaut pas mieux que l’autre ; en somme, tous ceux qui connaissent les difficultés du style symphonique accordent largement à M. Saint-Saëns tous les genres de mérite que donne l’étude ; quant à la grâce et à l’abondance mélodique, c’est tout autre chose. » L’article est de M. Adolphe Botte, harmoniste et critique de la plus solide érudition et longtemps apprécié des lecteurs de l’ancienne Revue et Gazette musicale. Pendant que je suis en veine de citations, qu’on m’en permette encore une, celle-ci d’un professeur viennois également très autorisé. Quand j’ai à me prononcer sur un musicien de la qualité de M. Saint-Saëns, je me défie en général de mes prédilections comme de mes antipathies l’artiste, et j’aime à m’appuyer sur l’opinion des hommes du métier en prévision de la méchante humeur des aristarques dits spéciaux, toujours prêts à vous traiter de poète ou de littérateur dès que vous n’encensez par leur idole. « Depuis Berlioz, écrit M. Hanslick, Saint-Saëns est le premier musicien qui, n’étant pas Allemand, ait composé de la musique purement