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Rien n’était plus facile que d’envoyer un fag chercher de la boisson chez Christophe. On se servait, à cet effet, d’un princeps, boîte d’apparence trompeuse, taillée dans la couverture d’une antique édition de Virgile et qui pouvait contenir jusqu’à trois bouteilles. Le fag qui l’emportait sous son bras avait l’air de serrer un gros livre sur son cœur. Cela rendit suspects tous les gros livres, et, un matin, le docteur Keate déclara aux élèves du petit collège que celui d’entre eux qui serait vu dans la rue avec un in-folio serait fouetté sans miséricorde. M. Gladstone ne fit jamais usage du princeps et ne figura que rarement dans les parties de cricket. « Le double hasard qui l’avait placé dans une dangereuse pension et sous la garde d’un tutor qui ne donnait pas à ses pupilles les meilleurs exemples l’obligea de recourir à ses propres ressources. La licence qui régnait dans le collège, l’instruction insuffisante qu’on y recevait, la paresse et les habitudes désordonnées qui étaient à la mode, tout tendait à perdre beaucoup d’élèves. Ceux qui étudiaient en étaient réduits à se replier sur eux-mêmes et à suivre leurs propres voies. M. Gladstone et ses amis, dont l’application et la conduite furent toujours irréprochables, ont rendu, par les souvenirs qu’ils ont laissés, plus de services à Eton qu’Eton ne leur en a rendu. »

S’il est fâcheux de laisser trop de liberté à la jeunesse, il ne l’est pas moins de lui en laisser trop peu, de la soumettre à une surveillance oppressive et tracassière. Il est bon qu’elle s’appartienne par instans, que, dans les choses indifférentes, elle ne prenne conseil que d’elle-même, qu’elle fasse en quelque sorte l’essai de sa volonté et se prépare ainsi au métier d’homme. C’est un avantage dont jouissent les collégiens anglais, et il faut les en féliciter. Harrow comme Rugby, Rugby comme Eton, sont de petites villes de trois à quatre mille âmes, et un grand lycée, dans une petite ville, est plus facile à conduire qu’un petit lycée dans une grande cité. Le directeur, qui a les bras longs, peut exercer autour de lui une police active qui le dispense de tenir son monde en quarantaine. Ajoutons que, si les écoliers anglais font leurs études en commun, ils ne logent pas tous dans la même caserne, mais qu’ils se distribuent entre plusieurs pensions où ils ne sont pas assez nombreux pour que leur tutor ne puisse les connaître et s’occuper de leur éducation. De tous leurs privilèges, c’est le plus enviable. M. Brinsley parle avec de grands éloges du révérend John Hawtrey, chez qui demeuraient beaucoup d’élèves des divisions inférieures. On était moins libre chez lui que dans d’autres maisons ; ses pensionnaires étaient tenus de déjeuner et de prendre leur thé tous ensemble, mais il n’avait garde de les gêner dans leurs jeux. Son grand principe était que, quoi que fît l’enfant, qu’il travaillât ou qu’il jouât, il devait être tout entier à ce qu’il faisait. « On sortait de chez lui, dit M. Brinsley, avec un fonds solide de connaissances et avec un