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part Michelet, vous les voyez stupéfaits, en traversant nos campagnes, de leur misérable apparence, de la tristesse, du désert, de l’horreur de pauvreté, des sombres chaumières nues et vides, du maigre peuple en haillons. Ils apprennent là ce que l’homme peut endurer sans mourir. » Anglais, ils auraient pu mieux l’apprendre en Irlande, Italiens en Calabre, Espagnols en Castille, Allemands un peu partout chez eux. Mais le fait est que Michelet les a lus avec ses yeux de visionnaire. Walpole et lady Montague, dont on a lu les textes, sont-ils ou ne sont-ils pas des « voyageurs du dernier siècle ? » Il a suffi qu’Arthur Young fît une excursion de quelques jours en Catalogne pour y apprendre à admirer le Roussillon : « Nous nous trouvons tout à coup transportés, écrit-il aussitôt, d’une province sauvage, déserte et pauvre, au milieu d’un pays enrichi par l’industrie de l’homme. » De même, quand le docteur Rigby passe dans le pays de Clèves, « dont il n’y a pas la centième partie qui soit cultivée, » et de là en Hollande, « où il ne voit guère que des friches, » il ne peut s’empêcher d’écrire : « Combien les pays et les peuples que nous avons vus depuis que nous avons quitté la France perdent à être comparés avec ce pays plein de vie ! » Arthur Young et le docteur Rigby sont-ils ou ne sont-ils pas des « voyageurs du dernier siècle ? » Je craindrais de lasser la patience du lecteur si je voulais rapporter ici tous les endroits du journal d’Arthur Young où son admiration s’épanouit. « Pau, le 12 août 1787. — Quelques parties de l’Angleterre se rapprochent de ce pays de Béarn, mais nous en avons bien peu d’égales à ce que je viens de voir dans ma course de 12 milles de Pau à Moneins… Partout on respire un air de propreté, de bien-être et d’aisance qui se retrouve dans les maisons, dans les étables fraîchement construites, dans les petits jardins, dans les clôtures, etc. » — « Pont-l’Évêque, le 19 août 1788. — Pont-l’Évêque est dans le pays d’Auge, célèbre par la grande fertilité de ses pâturages. Gagné Lisieux à travers la même riche contrée, haies admirablement plantées ; le sol est divisé en nombreux enclos et très boisé. — Le 20, — Le chemin gravit une hauteur qui domine la riche vallée de Corbon… Elle est remplie de beaux bœufs du Poitou et se ferait remarquer dans le Leicester et le Northampton. » — « Strasbourg, le 20 juillet 1789. — Arrivé à Strasbourg, en traversant une des plus belles scènes de fertilité et de bonne culture que l’on puisse voir en France. Elle n’a de rivale que la Flandre, qui la surpasse cependant. » Pourquoi, jamais ou presque jamais, ne choisit-on ces endroits pour les citer ? Avant donc d’appeler les voyageurs étrangers en témoignage de la misère de la France au XVIIe et au XVIIIe siècle, il ne sera que juste de s’assurer que leurs journaux ou leurs lettres ne témoignent pas de la prospérité du pays autant que de sa misère. Quand