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Je voudrais donc qu’en nous retraçant le tableau de l’ancien régime, on y mît d’abord en sa place tout ce que cet ancien régime a lui-même fait pour préparer le nouveau. Dirai-je que, sur ce premier point, ni le livre de M. Taine ni celui de Tocqueville ne nous donnent une entière satisfaction ? Il semble que Tocqueville n’ait reconnu dans l’ancien régime que les commencemens de ce qui lui déplaisait dans le nouveau, et que M. Taine ne nous ait montré que l’envers du même ancien régime. Ce ne sont pas désormais des considérations générales et philosophiques, ce sont de menus faits, patiemment amassés, opposés, conciliés qui introduiront dans le tableau de l’ancien régime cet élément de calme et d’impartialité. Et il faudra bien qu’on l’y introduise « par force ou par amour, » si l’on veut comprendre la génération même qui fit la révolution. Car, en admettant l’insuffisance d’éducation politique des hommes de la constituante, et surtout des assemblées qui suivirent, il faudra bien reconnaître que, pris un à un, chacun dans son genre et dans le sens de ses aptitudes, presque tous, ou du moins un bon nombre, ont été des hommes remarquables. Et, après avoir trouvé dans les vices de l’ancien régime l’explication de leurs erreurs, il faudra bien, dans ce que j’appellerai les vertus de ce même ancien régime, trouver la justification de leurs qualités. Je sais tout ce que l’on a dit de l’enthousiasme révolutionnaire. Quelqu’un en a même étendu l’influence jusqu’à des faits que l’on n’attendait guère. « Chose très remarquable, et qu’il faut signaler quand on parle de l’influence morale de la révolution, les naissances et les mariages augmentent dès que l’enthousiasme a saisi les cœurs, et les décès diminuent. » A plus forte raison, cela s’entend, la même influence a-t-elle subitement dilaté les cerveaux. Mais peu de gens probablement se sentiront disposés à se payer de semblables raisons. Ils voudront qu’on leur dise enfin d’où sortaient tous ces hommes de loi, procureurs, avocats, petits magistrats, petits propriétaires, d’où ces curés aussi qui remplirent les assemblées révolutionnaires. Et s’ils sortaient du peuple, si c’était du sang de paysan qui coulait dans leurs veines, si c’était de la chaumière ou de la ferme paternelle qu’ils étaient partis pour étudier, se pourvoir d’un office, et faire souche de bourgeois, tout affolés qu’ils soient eux-mêmes de haine contre l’ancien régime, il n’y a pas à le nier, c’est bien lui qui les a formés.

Il faudra tenir aussi plus de compte que l’on n’a fait jusqu’ici d’un élément considérable, à savoir la situation des peuples étrangers à la veille de la révolution. On nous a dit assez où nous en étions de misère en bas et de corruption en haut. Et les autres peuples, où en étaient-ils ? où l’Angleterre ? où l’Allemagne ? où l’Espagne ? où l’Italie ?

« Lisez les voyageurs des deux derniers siècles, a écrit quelque