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instituteur ou notaire, on ne me fera pas croire aisément que ce fussent à l’ordinaire des Bouillon ou des Montmorency qui en disputassent la charge au fils du paysan. On sait que son petit-fils atteignait à mieux que cela. Pas n’est besoin de remonter bien haut dans la généalogie d’un Colbert pour y retrouver le maçon, ni vraisemblablement, si nous pouvions la reconstituer, dans celle d’un Louvois pour retrouver un petit boutiquier parisien. J’ai ouï dire aussi qu’un évêque de Nîmes, appelé Fléchier, était le fils d’un épicier de Pernes, et un évêque de Clermont, nommé Massillon, le fils d’un notaire d’Hyères, qui sans doute eux-mêmes, selon le mot de Saint-Simon, descendaient de « quelques manans de là autour. » Irai-je touiller les Mémoires du noble duc pour y retrouver les humbles origines de quelques-unes des plus grandes familles de la magistrature ? ou, dans ce que l’on aurait le droit d’appeler le Contre-Mémoire du parlement de Paris, rechercher les « bouchers » et les « poissonniers » dont on y fait venir quelques-uns des plus grands noms du XVIIIe siècle ? Mais le poète Quinault, né dans une arrière-boutique de boulanger, devint auditeur en la chambre des comptes. Et Destouches, dont nous ne savons pas l’origine, après avoir été comédien, fut secrétaire d’ambassade et depuis chargé d’affaires en Angleterre. Les exemples seraient innombrables. Et quant aux charges de finances, à voir tous les laquais qui sont devenus commis, et de commis fermiers-généraux, s’ils étaient si souvent ridicules, et si féroces en même temps, on est tenté de dire, il faut dire que c’est parce qu’ils sortaient directement du peuple. Il est amusant, de nos jours encore, de voir nos historiens, quand ils rencontrent, chemin faisant, les Bouret et les Paris, ne pouvoir pas se tenir de leur reprocher la bassesse de leur extraction. « Les noms de Laurent David, Jean Alaterre, Nicolas Salzard, dit un honorable inspecteur d’académie, étaient connus et sans doute maudits jusqu’aux fonds des plus humbles hameaux. Les noms qui représentaient la plus grande puissance financière et fiscale de la France, appartenaient aux plus vulgaires individus. Salzard, par exemple, avait été portier et était devenu valet de chambre[1]. » Voudrait-il donc, aussi lui, que les traitans fussent sortis de la côte de saint Louis ? C’est beaucoup demander.

La vérité sur tout cela, c’est que, sous l’ancien régime, excepté les ambassades et les grands commandemens militaires, toutes fonctions, depuis celle de commis des fermes jusqu’à celle même de premier ministre, étaient accessibles à tous. « On ne voit presque jamais

  1. La France en 1789, par M, Alfred Pizard. Paris, 1883, Degorce-Cadot. Si nous indiquons le livre et si nous nommons l’auteur, c’est que l’auteur a fait pour être impartial un effort dont il lui faut tenir compte, et que, malgré tout, le livre se lit avec intérêt.