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au moins huit millions pour toute la France, il reste donc sept millions six cent mille privilégiés du tiers-état. Pourquoi donc ne nous en parle-t-on jamais ?

À ces traits et quelques autres, on peut voir que, si le paysan, sous l’ancien régime, a connu de tristes jours, et plus tristes qu’il n’en traversera désormais de longtemps (grâce à une évolution économique où la révolution n’est pour rien, ou pour bien peu de chose), il s’en faut toutefois qu’il ait été ce que l’on nous représente, l’éternel misérable et la victime universelle. A certains égards même, c’est une question de savoir si son sort n’aurait pas été presque meilleur qu’aujourd’hui. M. Babeau, du moins, dans l’un de ses premiers chapitres, a pu se demander si « lorsqu’en 1789 des droits politiques furent conférés aux habitans des campagnes, ces droits remplacèrent toujours pour eux les droits plus pratiques et plus à leur portée que longtemps ils avaient directement exercés ; » et il a pu laisser la réponse dans le doute. On a beaucoup parlé des assemblées provinciales du XVIIIe siècle, mais il y avait aussi des assemblées municipales, dont les pouvoirs paraissent avoir été très étendus. Ces assemblées décidaient « les ventes, achats, échanges, location de biens communaux, les réparations des églises, presbytères, édifices publics, chemins et ponts. » Dans plusieurs localités, elles fixaient le ban de vendange et tarifaient le prix de la journée d’ouvrier. Elles nommaient « leur syndic, leur pâtre, leur sergent, leur messier, les collecteurs de dîmes, » et, comme nous l’avons vu, les collecteurs de tailles. Le droit de suffrage, en de certaines circonstances, appartenait même jusqu’aux femmes. Réunies chez le curé, c’étaient elles qui procédaient à la nomination des sages-femmes en titre du village. En 1788, dans la seule subdélégation de Bar-sur-Aube, cent cinquante paroisses sur cent soixante-dix étaient en possession de ce droit. Il en était de même en Lorraine, à ce que nous apprend l’abbé Mathieu. Enfin, dans certaines circonstances, l’assemblée communale était chargée d’assister les pauvres. M. Babeau nous révèle à cette occasion : « qu’il arriva au moins une fois que les cultivateurs qui formaient la majorité de l’assemblée ne consentirent à voter des fonds pour les indigens qu’à la condition d’en recevoir autant pour eux-mêmes. » Voilà qui est bien rural ! et si M. Babeau nous dit que cela n’est arrivé qu’une fois, c’est qu’il ne veut rien avancer que sur preuves. Accueillant, hospitalier même au riche, le « cultivateur, » un peu par tous pays, est dur au pauvre monde.

Un fait bien digne de remarque, sur le propos de ces assemblées, c’est la protection dont l’intendant et le subdélégué les couvrent, à partir surtout du XVIIIe siècle. « La cour, depuis quelque