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village, et aux autres de s’entendre pour se faire taxer presque à la fantaisie du répartiteur. Même observation pour les corvées royales. Ce qu’elles avaient d’insupportable, c’était leur arbitraire, le droit qu’avait un intendant, à peu près selon son bon plaisir et sans égard aux travaux des champs, d’envoyer jusqu’à treize ou quatorze lieues de chez elle toute la population valide, hommes et femmes, d’un même village ; ce n’était ni la nature du travail, ni le principe de l’impôt, ni même le temps perdu par lequel il se soldait, et qui, après avoir varié de six à cinquante jours l’an, avait été presque partout uniformément réduit à douze. Ajouterai-je ici que ceux qui s’apitoient sur les misères qu’entraînait à sa suite la corvée royale, ne font pas attention que, lorsque Turgot essaya de l’abolir en nature et de la transformer en argent, le soulèvement fut unanime, et que, quand un édit royal eut accompli la transformation, les trois ordres de certaines provinces, en 1789, réclamèrent le retour à l’ancien état de choses ? Mais il y a tant de points auxquels ils ne font pas plus d’attention !

Ne croirait-on pas, à les entendre parler des milices, que c’était le paysan, — et le paysan seul, — qui portait tout le poids du service militaire ? « Les soldats, dit un professeur de physiologie, député, c’était le paysan qui les fournissait. On tirait la milice au sort, mais presque tous les jeunes gens étaient exemptés, sauf les fils de paysans ; » et il souligne. « Jacques Bonhomme n’avait pas toujours la certitude de manger le pain de son et d’avoine dont il se nourrissait alors, écrit un autre député, professeur de philosophie, tandis que ses fils mouraient sur les champs de bataille au service du roi. » Donnez-vous ici le spectacle de leur franchise. En premier lieu, l’institution des milices ne date que de 1688, et ainsi n’a pas duré cent ans ; en second lieu, le chiffre fixé par l’ordonnance de 1726 ne les porta pas au-delà d’un total de 60,000 hommes, soit, à raison de six ans de service, 10,000 hommes par an, c’est-à-dire un milicien par une et plus souvent par deux communes ; en troisième lieu, sauf les cas exceptionnels, où, les compagnies se trouvant composées d’anciens soldats et la nécessité pressant, on en fit entrer quelques-unes en campagne, les miliciens, en temps de guerre, tenaient garnison dans les places fortes, et, en temps de paix, n’étaient astreints qu’à de courtes réunions ; et enfin, en quatrième lieu, si les exemptions étaient nombreuses, comme ce n’était pas sans doute la noblesse qui manquait à payer l’impôt dû sang, il fallait bien que ce fussent messieurs du tiers-état qui en profitassent, — le bourgeois, le boutiquier, l’artisan, l’ouvrier des villes, — et, en effet, c’était eux. C’est un détail à ne pas oublier que celui-là ! Noblesse et clergé, tout compris, et selon l’évaluation la plus exagérée, ne vont pas à quatre cent mille âmes. La population totale des villes atteignant