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leur convient, 300, 500 et jusqu’à 1,200,000 francs[1], sur tel banquier, négociant ou bourgeois, sur telle veuve, et payables dans la semaine; tant pis pour la personne taxée si elle n’a pas la somme ou ne trouve pas à l’emprunter; nous la déclarons suspecte, nous la mettons en prison, ses biens sont séquestrés, l’État en jouit à sa place. En tout cas, même lorsqu’elle a payé, nous la forçons à remettre en nos mains ses espèces d’or et d’argent, parfois contre assignats, parfois gratis; désormais le numéraire doit circuler et les métaux précieux sont en réquisition[2]; chacun délivrera ce qu’il a d’argenterie. Et que nul ne s’avise de cacher son magot : vaisselle, diamans, lingots, or et argent monnayé ou non monnayé, tout trésor « qu’on aura découvert ou qu’on découvrira enfoui dans la terre ou caché dans les caves, dans l’intérieur des murs, des combles, parquets ou pavés, âtres ou tuyaux de cheminée et autres lieux secrets[3], » est acquis à la république, avec prime d’un vingtième en assignats pour le dénonciateur. Comme d’ailleurs, avec le numéraire et les métaux précieux, nous réquisitionnons le linge, les lits, les habits, les provisions, les vins et le reste, on peut imaginer l’état d’un hôtel, surtout lorsque nous y avons logé : c’est comme si l’incendie y eût passé; le capital mobilier y a péri ainsi que l’autre. A présent qu’ils sont détruits tous les deux, il faut empêcher qu’ils ne se reforment. — A cet effet, nous abolissons en principe le droit de tester[4], nous prescrivons dans toute succession le partage égal et forcé[5], nous y appelons les bâtards au même titre que les enfans légitimes ; nous admettons la représentation à l’infini « pour multiplier les héritiers et morceler les héritages[6] ; » nous réduisons

  1. Moniteur, XXII, 719, Rapport de Cambon, 6 frimaire an II.) A Bordeaux, Raba a été condamné à 1,200,000 francs d’amende, Péchotte à 500,000, Martin-Martin à 300,000. Cf. Rodolphe Reuss, Séligmann Alexandre, ou les Tribulations d’un Israélite de Strasbourg.
  2. Ibid., XVIII, 486. (Rapport de Cambon, 1er frimaire an II.) « Les égoïstes qui, il y a quelque temps, avaient peine à payer, même en assignats, les domaines nationaux qu’ils avaient acquis de la république, nous apportent aujourd’hui leur or. Des receveurs généraux des finances qui avaient enfoui leur or sont venus offrir, en paiement de ce qu’ils doivent à la nation, des lingots d’or et d’argent. Ils ont été refusés, l’Assemblée ayant décrété la confiscation de ces objets. »
  3. Décret des 7-11 mars 1794.
  4. Décret du 23 brumaire an II. — Sur les taxes et confiscations en province, voir par M. de Martel, Étude sur Fouché et Pièces authentiques servant à l’histoire de la révolution à Strasbourg. Et plus loin le détail de cette opération à Troyes. — Meillan, 90: « A Bordeaux, les commerçans étaient hautement taxés en raison non de leur incivisme, mais de leur opulence. »
  5. Moniteur, XVIII, 274, décrets du 4 brumaire, et Ibid., 305, décret du 9 brumaire an II, pour établir le partage égal des successions, avec effet rétroactif jusqu’au 14 juillet 1789. Les bâtards adultérins sont exceptés, et le rapporteur Cambacérès regrette cette exception fâcheuse.
  6. Fenet, Travaux du code civil. (Rapport de Cambacérès sur le premier projet du Code civil, 9 août 1793). Le rapporteur s’excuse de n’avoir pas ôté au père toute quotité disponible. « Le comité a cru qu’une telle obligation blesserait trop des habitudes sans aucun avantage pour la société, sans aucun profit pour la morale. D’ailleurs, nous nous sommes assurés que les propriétés seraient toujours divisées. » — Sur les donations entre-vifs. « Il répugne à l’idée de bienfaisance que l’on puisse donner à un riche. Il répugne à la nature que l’on puisse faire de pareils dons, lorsqu’on a sous les yeux l’image de la misère et du malheur. Ces considérations attendrissantes nous ont déterminés à arrêter un point fixe, une sorte de maximum qui ne permet pas de donner à ceux qui l’ont atteint. »