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symbole de l’esprit, dans l’âme individuelle (soul), qu’une manifestation localisée, un prolongement de l’âme universelle (oversoul) : « C’est cette âme qui, lorsqu’elle souffle à travers notre intelligence, s’appelle génie, à travers notre volonté, vertu, à travers nos affections, amour. » Mais son panthéisme est essentiellement subjectif, en ce sens qu’au lieu d’absorber l’homme et la nature en Dieu, il tend plutôt à absorber la nature et Dieu en l’homme. Toute son œuvre n’est qu’une constante apologie de l’instinct individuel, de la spontanéité humaine, source de toute connaissance, de tout art, de toute vertu. C’est par là qu’il a évité les écueils ordinaires de mysticisme, et qu’il n’est resté étranger à aucune préoccupation de son pays et de son siècle.

Emerson était au début de sa renommée, lorsqu’il prononça en 1838, devant la faculté théologique de Harvard, le célèbre discours où le transcendantalisme s’affirmait pour la première fois en hostilité ouverte avec toutes les églises chrétiennes, sans en excepter les unitaires. L’orateur leur reprochait indistinctement d’avoir cherché le miracle, c’est-à-dire l’intervention de Dieu, ailleurs que dans le fonctionnement normal des lois naturelles, d’avoir défiguré par leurs exagérations compromettantes la personnalité de Jésus, « le seul esprit de l’histoire qui ait apprécié la valeur de l’homme, » enfin d’avoir négligé « l’exploration de l’âme humaine et de ses rapports avec l’esprit divin. » Le remède à ces défaillances, c’était « l’âme, et puis l’âme, et encore l’âme, » first soul, and second soûl, and evermore soul. « Je cherche le maître, concluait-il, qui verra dans le monde le miroir de l’âme, qui reconnaîtra l’identité de la loi de gravitation avec la pureté du cœur, qui enseignera que le devoir est un avec la science, la beauté et la joie. »

Cet appel fut entendu de tous les esprits que travaillait le ferment idéaliste. Ils eurent bientôt leur centre de propagande, le Transcendental Club, et leur organe, the Dial (le Cadran). Au premier rang de la jeune phalange, on remarquait un autre mystique, Bronson Alcott, fervent admirateur de Pythagore et de Platon, qu’il regardait comme les ancêtres directs de Kant et de toute l’école transcendantaliste ; George Ripley et James Freeman Clarke, qui avaient été les premiers à porter dans la chaire les doctrines de l’idéalisme allemand, mais l’un doué d’un tempérament plus réformateur l’autre, plus soucieux de ménager la tradition ; Samuel Longfellow, qui, sans atteindre à la renommée de son frère, a laissé une collection d’hymnes et de poésies fort estimées de ses compatriotes ; Orestes Brownson, ardent propagandiste, mais esprit instable, qui, d’abord ministre d’une congrégation presbytérienne, passa au rationalisme, puis à l’universalisme, et qui, non content de poursuivre ses transformations par le transcendantalisme le plus extrême, finit par