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européenne pendant la période littéraire la plus féconde et la plus enthousiaste de notre siècle, rien n’est comparable à l’influence qu’il exerça dans toutes les sphères de l’activité intellectuelle, religieuse, et même sociale de la Nouvelle-Angleterre.

C’est par les œuvres de Coleridge et de Carlyle qu’il pénétra aux États-Unis, dès le premier tiers de ce siècle. L’intérêt qu’il y excita conduisit les écrivains les plus distingués de Boston à étudier l’allemand et le français, pour commenter de première main Jacobi, Fichte, Schelling, Herder, Schleiermacher et de Wette, en même temps que Cousin, Jouffroy et Benjamin Constant. Philosophique au début, le mouvement ne tarda pas à devenir exclusivement religieux. Dès 1835, James Walker, professeur de morale à l’université de Harvard, faisait le procès à la méthode sensualiste de la théologie dominante et préconisait le recours à une philosophie « qui rappelle sans cesse nos relations avec le monde spirituel. » La nouvelle méthode devait surtout séduire les esprits qui avaient poussé le plus loin l’œuvre de démolition entreprise par l’exégèse moderne sur les dogmes du christianisme. Les seules traditions que les unitaires avaient laissées debout pour servir de base à leur système religieux, — la préexistence du Christ et l’authenticité des miracles, — commençaient à être ébranlées par les progrès incessans du libre examen. Comment donc les esprits désireux de sauvegarder les fondemens de leur foi, dans ce naufrage général des dogmes, n’auraient-ils pas accueilli avec empressement une doctrine qui, en étendant à chaque homme le privilège d’une communication directe avec l’litre divin, permettait de réduire à des proportions humaines la personne de Jésus, sans lui enlever le prestige de l’inspiration ? Comment n’auraient-ils pas été séduits par l’ingénieuse hypothèse d’un sixième sens, qui, ouvert sur le monde spirituel, rendait inutile l’intervention des miracles pour établir l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme ?

On peut dire que le transcendantalisme se présentait à la fois comme le complément et le correctif de la réforme unitaire. Celle-ci était avant tout une religion de tête, le produit d’one tendance critique et négative ; sa théologie, pour autant qu’elle en eût une, s’était formée par voie d’ablation, en retranchant successivement de la tradition chrétienne les dogmes condamnés par le libre examen. Le transcendantalisme procédait par voie d’affirmations nettes et positives. Il prenait pour point de départ l’existence d’une faculté spéciale qui permettait à l’esprit humain de saisir directement les réalités spirituelles. Regardant comme « des faits de conscience » les trois grands axiomes du spiritualisme, — Dieu, l’immortalité, le devoir, — il les plaçait sur des fondemens que la raison elle-même proclamait en dehors de toute expérience et de toute