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sauf Antonini, qui cette fois a raison par extraordinaire, tous les écrivains napolitains depuis la Renaissance veulent que le fait ne se soit produit qu’au XIIIe siècle. Seulement ils ne s’accordent pas sur la date. On sait par des témoignages contemporains qu’en 1250 Potenza lut dévastée par Frédéric II après une révolte, qu’en 1268 Charles d’Anjou rasa ses murailles pour la châtier d’avoir pris le parti de Conradin, enfin qu’en 1273 elle souffrit d’un tel tremblement de terre que les habitans furent quelque temps obligés de camper en plein champ. On a supposé que c’était à la suite de l’un ou de l’autre de ces événemens que l’ancienne ville avait été entièrement détruite et que l’on avait bâti une nouvelle sur un autre emplacement ; mais les écrivains qui ont préconisé cette théorie n’ont pu se mettre d’accord, entre les circonstances que je viens d’indiquer, sur celle qui avait amené le transfert de la cité. Il semble pourtant que, si telle chose s’était produite au milieu du XIIIe siècle, on le saurait formellement, on en trouverait la trace quelque part. Mais du moment que Potenza possède parmi ses églises un édifice du XIe siècle, la thèse doit changer. La ville était dès lors sur la montagne et avait quitté la vallée. Le déplacement de Potenza rentre dans l’ensemble des déplacemens de villes qui eurent lieu dans toute la région à l’époque des incursions barbares et plus encore aux IXe et Xe siècles, dans la période des incursions des Sarrasins, lesquels, débarquant à l’embouchure des rivières, en remontaient les vallées et y mettaient tout à feu et à sang. À ce moment la population des lieux situés dans les terrains bas, exposés aux coups des envahisseurs et de trop imparfaite défense, se réfugia sur les hauteurs de difficile accès, où elle trouvait plus de sécurité. On ferait une longue liste des localités où les choses se passèrent de cette manière, et Potenza doit être inscrite sur cette liste.

C’est donc dans la ville déjà située sur la hauteur, là où elle est aujourd’hui, que le pape Innocent II et l’empereur Lothaire firent en 1133 un séjour d’un mois dans leur expédition contre Roger, roi de Sicile, et qu’en 1149, le même Roger reçut Louis VII, roi de France, débarqué en Calabre au retour de sa désastreuse croisade. Ce passage de Louis le Jeune par les provinces napolitaines a laissé des souvenirs vivaces dans un certain nombre de localités, à Brindisi, par exemple, tant un roi de France était un grand personnage, de nature à frapper les imaginations. Mais la tradition populaire a commis ici une de ces confusions qui lui sont habituelles ; Louis VII est devenu Louis IX, bien autrement illustre. Les villes où ces souvenirs se sont conservées se targuent à tort d’avoir possédé dans leurs murs au retour de sa première croisade saint Louis, qui n’a jamais mis les pieds dans la contrée.