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culte décadaire ; nous la poursuivrons de notre propagande jusqu’à table ; nous changerons les jours de marché pour que nul fidèle ne puisse acheter du poisson les jours maigres. — Rien ne nous tient plus à cœur que cette guerre au catholicisme ; aucun article de notre programme ne sera exécuté avec tant d’insistance et de persévérance. C’est qu’il s’agit de la vérité ; nous en sommes les dépositaires, les champions, les ministres, et jamais serviteurs de la vérité n’auront appliqué la force avec tant de détail et de suite à l’extirpation de l’erreur.


V.

À côté de la superstition, il est un autre monstre à détruire, et de ce côté aussi l’Assemblée constituante a commencé l’attaque. Mais, de ce côté aussi, faute de courage ou de logique, elle s’est arrêtée après deux ou trois coups faibles. Interdiction des armoiries, des titres de noblesse et des noms de terre, abolition sans indemnité des redevances que le seigneur prélevait à titre d’ancien propriétaire des personnes, permission de racheter à prix débattu les autres droits féodaux, limitation du pouvoir royal, voilà tout ce qu’elle a fait pour rétablir l’égalité naturelle ; ce n’est guère. Avec des usurpateurs et des tyrans, on doit s’y prendre d’autre façon ; car leur privilège est à lui seul un attentat contre les droits de l’homme. En conséquence, nous avons détrôné le roi et nous lui avons coupé la tête[1] ; nous avons supprimé sans indemnité toute la créance féodale, y compris les droits que les seigneurs prélevaient à titre de propriétaires fonciers et de bailleurs simples ; nous avons livré leurs personnes et leurs biens aux revendications et aux rancunes des jacqueries locales ; nous les avons réduits à émigrer ; nous les incarcérons s’ils restent ; nous les guillotinons s’ils rentrent. Elevés dans des habitudes de suprématie et persuadés qu’ils sont d’une autre espèce que le commun des hommes, leur préjugé de race est incorrigible ; ils sont incapables d’entrer dans une société d’égaux ; nous ne pouvons trop soigneusement les écraser ou du moins les tenir à terre[2]. D’ailleurs, par cela seul qu’ils ont vécu, ils sont

  1. Moniteur, XIV, 646. Procès du roi ; discours de Robespierre : « Le droit de punir le tyran et de le détrôner, c’est la même chose. » — Discours de Saint-Just : « La royauté est un crime éternel contre lequel tout homme a le droit de s’élever et de s’armer… On ne peut régner innocemment. »
  2. Épigraphe du journal de Marat : Ut redeat miseris, abeat fortuna superbis.