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encore, pour ou contre le brigandage napolitain. Mais en présence des lieux qui en furent témoins, toutes les réminiscences de ces événemens sont revenues à mon esprit avec une singulière vivacité. Elles m’ont pour ainsi dire absorbé pendant les quatre heures que j’ai mises à parcourir, en partie de nuit et sans plus pouvoir observer le paysage, la route de Pietragalla à Potenza.


IV

Cette ville est un chef-lieu de province, qui compte dix-neuf mille habitans. Elle est située à 1,200 mètres d’altitude, sur le sommet d’un mamelon haut et escarpé, que dominent à peu de distance de tous les côtés des montagnes plus élevées. Au sud, là où la ville surplombe la vallée supérieure du Basiento, dans le fond de laquelle est située la station du chemin de fer, la vue est pittoresque et frappante, mais d’un caractère triste et sauvage. Le fleuve, qui se jette dans la mer à Métaponte, est ici tout près de sa source ; car il sort du mont Arioso, quelques kilomètres seulement-au-dessus de Potenza. Ce mont Arioso, situé au sud de la ville, appartient au massif des Monti della Maddalena, le groupe culminant de l’Apennin lucanien ; il reste couronné de neiges jusqu’au milieu du mois de mai.

La ville n’a rien de monumental. On n’y rencontre pas un seul édifice qui frappe l’attention. Devant la préfecture, il y a une place d’une certaine étendue, mais la principale artère est une longue rue tortueuse où deux voitures auraient peine à passer de front. Les maisons qui la bordent, toutes blanchies à la chaux, sont peu élevées, avec leur façade garnie de balcons ventrus à l’espagnole en fer forgé dont quelques-uns sont de remarquables échantillons de l’art du serrurier au XVIIe siècle. Cette rue est le forum de Potenza. Toute la journée on la voit remplie de groupes qui stationnent, laissant aller leur vie à la flânerie ou bien causant de leurs affaires et discutant avec animation la politique du jour. A la curiosité qu’un étranger éveille en y passant, il est facile de voir qu’il n’en vient guère en ces lieux.

Pour un voyageur qui arriverait de Naples, il est évident que Potenza paraîtrait un trou de province, arriéré, vulgaire et mort. Pour celui qui vient de passer plusieurs jours à parcourir les petites localités de la Basilicate et ses campagnes désertes, l’impression est toute différente. Il lui semble retrouver la vie et la civilisation. A revoir l’éclairage au gaz, un grand théâtre, des cafés brillans de lumières, des magasins assez bien approvisionnés, et dont cinq ou six ont des devantures à la moderne, entre autres celui d’une modiste française,