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par ces désertions volontaires ou forcées, le troupeau catholique se laissera aisément mener hors de la bergerie, et, pour lui ôter la tentation d’y rentrer, nous démolirons le vieil enclos. Dans les communes où nous sommes maîtres, nous nous ferons demander par les jacobins du lieu l’abolition du culte, et nous l’abolirons d’autorité dans les autres communes par nos représenlans en mission. Nous fermerons les églises, nous abattrons les clochers, nous fondrons les cloches, nous enverrons les vases sacrés à la monnaie, nous briserons les saints, nous profanerons les reliques, nous interdirons l’enterrement religieux, nous imposerons l’enterrement civil, nous prescrirons le repos du décadi et le travail du dimanche. Point d’exceptions : puisque toute religion positive est une maîtresse d’erreur, nous proscrirons tous les cultes; nous exigerons des ministres protestans une abjuration publique; nous défendrons aux juifs de pratiquer leurs cérémonies ; nous ferons « un autodafé de tous les livres et signes du culte de Moïse[1]. » Mais, parmi les diverses machines à jongleries, c’est la catholique qui est la pire, la plus hostile à la nature par le célibat de ses prêtres, la plus contraire à la raison par l’absurdité de ses dogmes, la plus opposée à l’institution démocratique puisque chez elle les pouvoirs se délèguent de haut en bas, la mieux abritée contre l’autorité civile, puisque son chef est hors de France. C’est donc sur elle qu’il faut s’acharner ; même après Thermidor, nous prolongerons contre elle la persécution, petite et grande; jusqu’au consulat, nous déporterons et nous fusillerons des prêtres, nous renouvellerons contre les fanatiques les lois de la Terreur, « nous entraverons leurs mouvemens, nous désolerons leur patience ; nous les inquiéterons le jour, nous les troublerons la nuit, nous ne leur donnerons pas un moment de relâche[2]. » Nous astreindrons la population au

  1. Recueil de pièces authentiques servant à l’histoire de la révolution à Strasbourg, II, 299. (Arrêté du district.)
  2. Ludovic Sciout, IV, 426 (Instruction envoyée par le directoire aux commissaires nationaux, frimaire an IV.) — Ibid., ch. X à XVIII. — Ibid., IV, 688. Arrêté du Directoire, 14 germinal an VI. — « Les administrations municipales fixeront à des jours déterminés de chaque décade les marchés de leurs arrondissemens respectifs, sans qu’en aucun cas l’ordre qu’elles auront établi puisse être interverti sous prétexte que les marchés tomberaient à des jours ci-devant fériés, Elles s’attacheront spécialement à rompre tout rapport des marchés aux poissons avec les jours d’abstinence désignés par l’ancien calendrier. Tout individu qui étalera ses denrées ou marchandises dans les marchés hors des jours fixés par les administrations municipales, sera poursuivi devant le tribunal de police comme ayant embarrassé la voie publique.» — Les thermidoriens restent aussi anticatholiques que leurs prédécesseurs; seulement ils désavouent la persécution ouverte et comptent sur la pression lente. (Moniteur, XIII, 523. Discours de Boissy d’Anglas, 3 ventôse an III.) « Surveillez ce que vous ne pouvez empêcher; régularisez ce que vous ne pouvez défendre... Bientôt on ne connaîtra que pour les mépriser ces dogmes absurdes, enfans de l’erreur et de la crainte, dont l’influence sur l’esprit humain a été si constamment nuisible... Bientôt la religion de Socrate, de Marc Aurèle et de Cicéron sera la religion du monde. »