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aujourd’hui l’une Cerenzia et l’autre Acri, chacune sur un versant du massif de la Sila, dans la Calabre actuelle, et chacune à côté d’une rivière Achéron. Une ville ainsi nommée suppose, en effet, d’une façon nécessaire, un Achéron sur lequel elle aura été bâtie, et l’on peut affirmer avec certitude que, des deux cours d’eau qui enveloppent Acerenza, celui dont on ignore l’appellation antique, le Signone, devait avoir reçu cette désignation. L’Achéron, comme chacun sait, est un fleuve des enfers. Sa localisation superterrestre est un fait en rapport direct avec le culte des divinités chtoniennes, dispensatrices de la fécondité du sol, qui reçoivent les morts dans leur empire ténébreux et souterrain, culte particulièrement cher aux peuples pélasgiques et qui remonte jusqu’à eux partout où, dans le monde grec, on le trouve établi. Il y avait un fleuve Achéron dans l’Épire, point probable de l’origine des OEnotriens ; c’était même le plus fameux parmi ceux du monde des vivans. Par un curieux hasard, j’ai eu l’occasion de visiter dans mes voyages tous les Achérons terrestres que connaît la géographie classique, en Italie et en Épire. Tous sont situés au milieu de paysages sévères et tristes, qui conviennent bien à leur nom infernal.

Malgré la force extraordinaire de sa position, qui devait lui assurer une grande importance stratégique, Achérontia ne se trouve pas mentionnée dans les guerres des Romains contre les Samnites et les Lucaniens, non plus que dans leurs campagnes contre Hannibal. Les inscriptions nous apprennent qu’à la fin de la république et sous l’empire la ville avait rang de municipe. Elle prétend avoir été dans la contrée celle où la foi chrétienne pénétra le plus tôt, dès le Xe siècle, au dire de ses diptyques. En tous cas, dès le IIIe, sous le pontificat de saint Marcellin, elle posséda un siège épiscopal, dont le premier titulaire s’appela Romanus. C’est peut-être à la vivacité particulière qu’y eut la lutte entre l’ancienne et la nouvelle religion qu’il faut attribuer l’enthousiasme exceptionnel que l’ordo ou sénat municipal d’Achérontia paraît avoir témoigné pour Julien l’Apostat. Non-seulement l’inscription, depuis longtemps connue, d’un piédestal de statue, employé comme pierre de taille dans la construction de la façade de la cathédrale, présente une dédicace « au réparateur du monde romain, à notre seigneur Julien Auguste, prince éternel, » mais j’ai trouvé, servant de seuil à une des chapelles, le fragment d’une seconde inscription, bien plus monumentale, en l’honneur du même empereur, et au sommet du pignon de la cathédrale, là où l’on chercherait la figure d’un saint protecteurs l’architecte du XIe siècle a placé le buste jusqu’à mi-corps d’une statue en marbre de Julien, de proportion colossale. Cette statue est d’un très bon travail pour l’époque, exactement comme notre célèbre Julien trouvé à Paris. Seulement, des deux hommes qui étaient en