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objet fût d’une grande beauté ou représentât un sujet intéressant, que l’on pût expliquer et commenter avec science. Tout ce qui n’offrait pas l’un ou l’autre de ces genres de mérites n’obtenait même pas un regard ; on le rejetait sans en tenir compte, et même en ce qui est des morceaux d’un ordre supérieur, on s’inquiétait peu de leur provenance précise. Par une réaction qui ne pouvait manquer de se produire, l’interprétation des monumens figurés, principale étude des archéologues des générations qui nous ont précédés, est trop négligée de ceux d’aujourd’hui ; beaucoup en ignorent les règles les plus élémentaires. Aucun pays de l’Europe ne pourrait actuellement sous ce rapport citer un nom d’antiquaire vivant à placer sur le rang de ceux d’Ennio-Quirino Visconti, de Gerhard, de Panofka, de Charles Lenormant, d’Otto Jahn. Pour ce qui est de la beauté plastique absolue des objets, au contraire, nous en sommes aussi amoureux que nos pères, et nous connaissons mieux l’histoire de l’art. Jamais les œuvres antiques vraiment belles en elles-mêmes n’ont été plus recherchées des amateurs et des musées, ne se sont payées à des prix plus élevés. Mais on a fini par comprendre que l’antiquité n’est pas un être de raison qu’il faille envisager dans son unité, à la façon des savans de la renaissance, et qu’il ne suffit même pas d’y introduire les grandes divisions du grec, de l’étrusque, du romain. Le tableau des phases du développement de l’art chez ces différens peuples ne saurait être reconstitué d’une manière exacte sans y introduire, à côté des classemens d’époques, une foule de délicates distinctions de provinces, de localités, d’écoles, de fabriques, étude où la question des provenances devient une chose capitale. On s’est également aperçu que les objets les plus vulgaires et les plus insignifians ne sont pas à dédaigner, qu’il y a intérêt à les observer et qu’ils prennent une valeur toute particulière quand on les envisage au milieu de l’ensemble de ce qui se trouve habituellement dans telle ou telle province, sur le territoire de telle ou telle ancienne ville. Car les ensembles de ce genre, avec ce qui y appartient évidemment à la fabrication locale et ce qui y offre les caractères d’une importation étrangère, fournissent à l’observateur autant de chapitres tout faits de l’histoire de l’industrie et du commerce dans les siècles de l’antiquité.

La collection de M. Vosa, à Acerenza, me fournira trois exemples bien caractérisés de la nature des renseignemens que l’on peut tirer de cette sorte d’observations. J’y remarque, et après quelques pourparlers je parviens à me faire céder pour le Louvre une petite statuette en bronze d’une femme entièrement drapée, qui formait originairement poignée sur le couvercle d’un vase de même métal. L’exécution est grossière, le costume de la femme tout particulier. C’est une œuvre lucanienne indigène, d’un caractère nouveau pour