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c’est déjà quelque chose que d’avoir su comprendre cette nécessité et de s’y être conformé de bonne grâce. Il est de par le monde des chambres des députés et des conseils municipaux qui, tout en faisant un pompeux étalage de leur zèle pour l’instruction, tout en dépensant sans compter l’argent des contribuables pour la construction des écoles, à condition qu’elles soient laïques, n’hésiteraient pas à laisser péricliter l’enseignement plutôt que d’admettre un prêtre comme professeur dans un lycée de l’état.

C’est généralement des rangs du clergé que sortent les dotti provinciaux dont il est bien rare qu’on ne rencontre pas au moins un dans chaque localité. Le dotto de petite ville est un des types originaux de l’Italie. Ce n’est pas un gladiateur de lettres, qui cherche querelle à tout venant ; c’est un homme d’un caractère prudent et un peu craintif, de vie paisible et plutôt cachée, de mœurs douces et affables, dont la pédanterie a quelque chose de naïf et de bon enfant. Formé exclusivement au régime de ce qu’on nommait autrefois les humanités, il est presque toujours bon latiniste, capable de rédiger une page d’une tournure assez cicéronienne et trouvant un plaisir délicat à relire les grands écrivains de Rome ; mais pour la langue hellénique, il pourrait employer en parlant de ses monumens le vieux dicton : Grœcum est, non legitur. Amoureux de beau langage et de petits vers, il tourne facilement le sonnet, en y mettant une certaine pointe d’esprit et une grâce câline. En général, c’est d’archéologie qu’il s’occupe, et le couronnement de sa vie sera la publication d’une histoire de sa cité natale, depuis l’arrivée d’Aschkenaz, petit-fils de Noé, que les païens adorèrent sous le nom de Neptune, jusqu’au temps présent, livre dont aucun libraire n’aura le dépôt, dont le retentissement n’ira pas plus loin que l’ombre du clocher, et dont l’édition finira par pourrir presque en entier dans son grenier, à moins qu’après sa mort ses neveux n’en utilisent le papier pour faire des sacs à raisins. Pour lui la science est restée exactement au point où elle en était au XVIe et au XVIIe siècle. La grande œuvre de critique des textes et des monumens réalisée depuis cent ans est non avenue. Il n’en a aucune idée ; les livres où il pourrait apprendre à la connaître ne sont pas à sa portée ; il en ignore jusqu’aux titres., et c’est à peine s’il a vaguement entendu parler de la renommée européenne de leurs auteurs. Il croit fermement à l’autorité de Barrio ou d’Antonini en matière de topographie antique, comme à celle de Pirro Ligosio et de Pratilli en matière d’inscriptions ; il cite sans aucun soupçon, sur la foi de leurs éditions imprimées, la chronique apocryphe de Calabre et la chronique interpolée de La Cava. N’essayez point de lui dire que ce sont là des sources dont il n’est plus permis de se servir non plus que de réfuter quelqu’un de ses dadas favoris. Il est, trop poli pour vous contredire et il protestera