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maisons des petites-sœurs ; la guerre est survenue qui a fait naître des obligations cruelles et foudroyantes auxquelles il a fallu pourvoir. Tout ce que l’on gardait, tout ce qui s’en serait allé aux dortoirs des vieux pensionnaires a été découpé en bandes, façonné en compresses fenêtrées, effiloché en charpie, et la lingerie des petites-sœurs est en chômage. Toutes les sœurs lingères m’ont dit : « Depuis la guerre on ne nous donne plus de linge. » A Paris, du reste, le linge est rare ; la place est si restreinte dans les appartemens, on sacrifie tellement au luxe extérieur que l’on achète la lingerie presque au jour le jour et que les grandes provisions qui sont l’orgueil des femmes de province, qui permettent de ne faire la lessive qu’une fois par an, sont inconnues dans notre ville, où les magasins de confection fournissent à bas prix des toiles et des calicots d’apparence, que détruit rapidement le sel de soude des blanchisseuses. La toile, la vraie toile, coûte trop cher, l’aumône n’est pas assez fructueuse pour que l’on puisse en acheter autant qu’il serait nécessaire ; mais lorsque les draps manquent pour les lits des « bons petits vieux, » « les bonnes petites-sœurs » couchent toutes vêtues sur leur sac de maïs et ne se plaignent pas. Au début de l’œuvre, et plus d’une fois, Marie-Augustine et Marie-Thérèse ont donné leur lit à des pauvres et ont dormi sur des bottes de paille quand elles en avaient. Elles se souvenaient de la crèche de Bethléem et remerciaient Dieu.

Cinq maisons dans Paris pour une population de deux millions d’habitans, c’est beaucoup si l’on considère les sacrifices exigés ; c’est bien peu si l’on regarde du côté des misères qu’il faut secourir. Ceux-là seuls qui ont visité les garnis infimes pendant la nuit, qui se sont mêlés aux vagabonds couchés près des fours à chaux des Carrières-d’Amérique, de Pantin et d’Aubervilliers, ceux-là seuls peuvent apprécier la quantité prodigieuse de vieillards jetés aux hasards de la rue et dont l’existence est lamentable. Le peuple parisien n’est pas doux aux grands-pères. Parcourant un jour la cité Doré avec les visiteurs de l’Assistance publique, je trouvai au fond d’un galetas occupé par un ménage d’indigens de profession un pauvre homme âgé de plus de soixante-quinze ans, couché par terre, le dos appuyé contre la muraille, hâve, les mains décharnées, à peine couvert d’une souquenille, ceignant et découvrant une dartre vive qui lui rongeait la jambe. Je fis une observation assez verte à son fils, qui me répondit : « Bah ! ces vieux-là, ça n’est plus bon à rien, ça consomme et ça ne produit pas. » Il y en a des milliers semblables à ce malheureux dans les soupentes de nos maisons. Malgré la Salpêtrière, malgré Bicêtre, malgré les 700,000 fr. que l’Assistance publique distribue annuellement aux vieux