Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/558

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

manqué, mais elles n’ont pas osé, car nulle sécurité ne leur est offerte, elles ont eu peur d’être dépossédées et de rester avec une dette de plus à payer. Dans ce terrain où elles auraient pu développer à l’aise l’ampleur de leur charité, on a construit des maisons à cinq étages dont chaque fenêtre regarde dans leur jardinet. Les pauvres sœurs qui avaient l’habitude de prendre, après le repas de midi, une demi-heure de récréation dans leur jardin, en ont été chassées par les yeux indiscrets et sont réduites à rester au logis. Cet immeuble qui s’affaisse sous l’âge a de la valeur dans le quartier où il est situé, il faudrait le vendre et s’établir ailleurs, aux environs des anciennes barrières. Mais on redoute l’heure actuelle ; on craint que l’on ne remplace « les lois existantes » par des lois qui n’existent pas encore, et l’on reste dans une maladrerie qui menace ruine, au grand détriment des indigens et des infirmes. Comment n’a-t-on pas compris qu’en se dressant contre l’existence conventuelle, c’est surtout aux malheureux que l’on portait préjudice ? Pendant la commune, lorsqu’une maison religieuse était fermée, lorsque la congrégation était conduite à Mazas, le lendemain on voyait des bandes de vieillards, d’estropiés, d’affamés qui se lamentaient devant les portes scellées et disaient : « Qui nous donnera du pain désormais ? » La commune leur offrit un verre d’absinthe et un bidon de pétrole. C’est tout ce que sa charité avait au cœur.

Dans la maison de la rue Saint-Jacques et dans les autres maisons des Petites-Sœurs des Pauvres, il est difficile de se défendre d’une impression de tristesse lorsque l’on pénètre dans la lingerie. Trop de casiers y sont vides, et les plus importans, ceux qui devraient contenir les draps. Les vêtemens, le linge de corps, le linge de toilette, les taies d’oreillers sont là en quantité à peu près suffisante ; mais les draps de literie, — ce rêve de toute bonne ménagère, — manquent, ou peu s’en faut. Je ne sais par quels prodiges d’activité et de buanderie, on arrive à parer aux exigences imposées par des vieillards dont beaucoup sont infirmes, dans la plus laide acception du mot. Pour une maison qui renferme deux cents pensionnaires, il serait indispensable de posséder au moins quatre cents paires de draps ; c’est tout au plus si l’on a deux cent cinquante. Et pour ces vieillards, pour de tels malades, — on me comprend sans que je m’explique davantage, — le drap de coton est mauvais et d’une durée illusoire. Ce qu’il faudrait, c’est le drap en bonne toile de Vimoutiers, solide, de long usage et résistant aux lessives multipliées. C’est le desideratum des supérieures ; toutes m’ont dit : « Si au moins nous avions des draps ! » Avant 1870, le linge était envoyé avec quelque abondance aux