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bonne mère. Comme les sœurs qui lui obéissent, elle porte la jupe de laine noire, le manteau noir à capuchon, la coiffe blanche, la forte chaussure, souvenir des origines et qui reproduit le costume des femmes de Saint-Servan, La règle, sévère pour les religieuses, est indulgente aux pensionnaires ; en réalité, ceux-ci sont les maîtres et les sœurs sont leurs servantes, servantes blanchisseuses, servantes cuisinières, servantes infirmières, servantes quêteuses, servantes en toute occasion et pour tout soin, si répugnant qu’il soit. On ne demande aux vieillards que d’achever de mourir en paix, à l’abri de la faim, de la misère et du froid. C’est aux sœurs à les nourrir, à les coucher, à les vêtir, à les chausser, à panser leurs plaies, à changer leur linge maculé, à les veiller pendant les maladies, à les consoler à l’heure de la mort, à les ensevelir dans le drap funèbre, à les mettre au cercueil, à prier sur leur dépouille et à les accompagner jusqu’à la porte de la maison hospitalière lorsqu’on les mène à leur dernière demeure. Dans ces refuges, la discipline n’est pas seulement douce, elle est maternelle. La femme a beau faire des vœux et jurer les sermens irrévocables, elle ne peut rien contre les fatalités de la nature : elle est créée pour être mère ; sa volonté ou l’empire des circonstances peut briser la loi physique de son sexe, mais rien ne prévaut contre la loi morale qui lui est assignée ; elle est née mère et elle reste mère ; petite fille, elle l’est avec sa poupée ; vieille femme stérile, elle l’est avec les nourrissons ; sœur de charité, sœur Augustine, sœur de Sainte-Marthe, elle l’est avec les malades ; sœur de Marie-Joseph, elle l’est avec les pestiférées de Saint-Lazare ; sœur de Saint-Thomas-de-Villeneuve, elle l’est pour les repenties du Bon-Pasteur ; sœur de la Présentation de Tours, elle l’est pour les vagabonds de Villers-Cotte rets ; la religieuse est d’autant plus mère dans ses fonctions d’hospitalité que la vraie maternité lui fait défaut ; c’est ce que n’ont pas compris ces bons libres penseurs qui veulent infliger aux hôpitaux ce qu’ils appellent la laïcisation. Quel mot et quel acte barbares ! — Ah ! je les connais, les infirmières laïques, je les ai vues à l’œuvre et je sais ce que leurs poches peuvent receler de flacons d’absinthe et de cervelas.

Dans leurs maisons, avec leurs infirmes, les Petites-Sœurs des Pauvres sont des mères ; si elles l’ignorent, je le leur apprends ; mères tendres, mères câlines, accortes, toujours souriantes, comme il convient d’être pour amuser des enfans. J’ai vu là des béguines jeunes et fraîches qui marchent entourées d’une bande de fils dont le plus jeune a soixante-quinze ans. C’est un spectacle dont il est difficile de n’être pas ému. On ne m’en donnait pas la représentation ; j’ai regardé par des lucarnes, par des portes entre-bâillées, j’ai vu sans être vu et j’ai surpris la vie de famille dans l’expansion de ses habitudes quotidiennes. Ce qui m’a frappé chez les Petites-Sœurs des